mardi 20 décembre 2016



Note personnelle


En cette fin d’année 2016






      Je me suis offert l’ultime CD de Leonard Cohen et je l’écoute en rédigeant cette note. Je ne crois plus en un Dieu depuis bien longtemps mais suis de ceux et celles qui pensent que l’homme a besoin de spiritualité, plus que jamais en ces temps sombres, plombés, "dark"…Et la poésie, et le chant de Cohen en constituent bien une et m’accompagnent dans mes moments de solitude vitale.

   Ou écouter par exemple, comme ce matin en voiture au lever tardif d’un tout gros soleil d’hiver sur la crête de collines blanchies de givre, le propos d’un Costas Gravas à la radio, interviewé par une journaliste intelligente et sensible ; paroles claires qui remettent devant l’essentiel : la recherche de la justice (de l’équité) doit être au centre de la vie en société ; nous n’avons pas d’abord besoin de tribuns mais seulement d’hommes politiques propres. Et Costa Gravas, homme très marqué à gauche pourtant, de donner l’exemple d’un de Gaulle, un homme qui s’est mis exclusivement au service du bien commun.

  Nietzsche l’avait parfaitement prévu pour notre Occident : La fin des dieux nous plongerait pour longtemps dans le nihilisme. Nihilisme réactif et de ressentiment, ou métaphysique de substitution, idolâtre du Grand Capital ou d’une idéologie totalisante.

 Nous avons jeté le bébé avec l’eau bénite ; nous avons perdu le lien social avec la désertion de nos parvis d’églises, de temples ou de synagogues. Bref, nous avons perdu le besoin vital de spiritualité avec l’abandon lettré du religieux.
  Il nous faudrait retrouver d’urgence la soif de spiritualité sans quoi c’est toute la beauté et l’intelligence de notre culture qui finiraient par s’effacer en nous rayant de la carte des signifiances mondaines qui montent.

   Je suis comme beaucoup d’entre nous à l’automne de ma vie. C’est donc vers la jeunesse que se tourne mon espérance pour les demain de notre culture. Ici et là, parfois timidement, parfois avec détermination, elle marque sa volonté de rompre avec le consumérisme capitaliste et retisse du lien social. C’est en cette jeunesse-là, intelligente, volontaire et généreuse, que je veux croire et que j’entends soutenir. Car une société qui ne chérit plus dans les faits sa jeunesse, est vouée à terme à la décadence, et in fine à son extinction, n’est-ce pas ?


     J’ai pris mes distances de la seule blogosphère que je connaisse bien, supposant qu’il en va sans doute de même sur n’importe quelle autre plate-forme ou réseau social. Pas seulement parce que la mienne a été délaissée par les dirigeants de l’Obs, pas uniquement (mais c’est grave) parce qu’il y en a un au moins qui passe son temps à démolir la e-réputation d’autres ou tel autre obsédé  par untel ou unetelle à tel point qu’il ne parvienne tout simplement plus à lire ce que ceux-là écrivent effectivement, mais parce qu’elle finissait par avoir raison de ma substance même. De toute mon attention, propulsant mes propres médiocrités à mon avant-scène.

  Un auteur dont je n’ai pas retenu le nom a publié un petit livre qui raconte comment il s’est senti descendre, tomber très bas et entrer en véritable dépression à cause d’un réseau social. Cela, entendu en passant à la radio, m’aura déjà alertée, il y a presque une année. Et puis, j’ai pu entendre pour du vrai quelqu’une qui me partageait que si elle ne pouvait pas changer directement le monde ni les opinions égoïstes, elle pouvait agir effectivement à un niveau très local dans un centre d’alphabétisation pour réfugiés. Quand je l’ai écoutée, je me suis rendue compte que mon amie paraissait beaucoup plus épanouie que je ne l’étais moi-même à ce moment-là.

   Et ces deux infimes événements, se sédimentant dans ma mémoire, m’ont permis de modifier quelque chose d’essentiel dans ma vie de retraitée. Aujourd’hui, je m’investis à fond dans un cours d’anglais que je suis avec 14 autres qui finissent par devenir de vrais amis dans la vie réelle, et depuis peu, je consacre mon vendredi après-midi à accompagner dans les longs couloirs d’un hôpital, des malades souvent atteints d’un grave AVC, de leur chambre à la salle de kiné, de la kiné en ergothérapie, d’ergo en neuropsychiatrie. Je parcours des kilomètres, j’ai les pieds endoloris, je me farcis les embouteillages du vendredi soir sur l’autoroute au retour, mais j’ai l’âme qui a retrouvé la joie…

    …Enfin ! Il était temps ! Je l’avais perdue, la joie-qui-demeure, depuis le dernier cours que j’avais donné il y a 6 ans déjà.


     Je souhaite à celui et à celle qui m’auront lue dans la bienveillance, le meilleur,  surtout ce meilleur de générosité qui sourd en lui, en elle, pour l’An Neuf.


Jette ton galet dans le torrent,
Un autre et un autre encore
 Jetteront le leur
Et nous finirons par construire un gué.



P.S. Et pour réfléchir tout de même en cette fin d'année, je vous invite à voir et écouter comment Mathilde Larrère démonte le néo-colonialisme de Fillon et de la droite dans l'émission Arrêt sur image :
http://www.arretsurimages.net/chroniques/2016-12-03/Fillon-face-a-Elie-Domota-retour-sur-un-clash-id9361



samedi 22 octobre 2016

Ecrits sur l’aliénation

Et la liberté


Frantz Fanon







Emission de France-Culture


(janvier 2016)






Une émission à écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=dh67P1f3ZHM





dimanche 16 octobre 2016

Le dernier chant-poème de Léonard Cohen



Le dernier chant-poème de

Léonard Cohen







Il introduit l’album qui sortira le 21 octobre 2016.

Juste un chef-d’œuvre…

Ce chant-poème s’intitule You want it darker.

C’est une sorte étrange de dialogue avec Yahwé, my Lord (I’m ready), avec la collaboration du chantre de Montréal Gideon Zelermyer ainsi que du chœur de la synagogue de la Congrégation Shaar Hashomayim ; des voix qui évoquent un chant familier de la jeunesse de Cohen.

Pour l’instant, je l’écoute en boucle.

Mon fils aussi, avec ses deux amies, l’une de culture juive ; l’autre, arabe.




Un chant qui me touche au plus intime de l'âme.

If you are the dealer, I'm out of the game
If you are the healer, it means I'm broken and lame
If thine is the glory then mine must be the shame
You want it darker
We kill the flame
Magnified, sanctified, be thy holy name
Vilified, crucified, in the human frame
A million candles burning for the help that never came
You want it darker
Hineni, hineni
I'm ready, my lord
There's a lover in the story
But the story's still the same
There's a lullaby for suffering
And a paradox to blame
But it's written in the scriptures
And it's not some idle claim
You want it darker
We kill the flame
They're lining up the prisoners
And the guards are taking aim
I struggled with some demons
They were middle class and tame
I didn't know I had permission to murder and to maim
You want it darker
Hineni, hineni
I'm ready, my lord
Magnified, sanctified, be thy holy name
Vilified, crucified, in the human frame
A million candles burning for the love that never came
You want it darker
We kill the flame
If you are the dealer, let me out of the game
If you are the healer, I'm broken and lame
If thine is the glory, mine must be the shame
You want it darker
Hineni, hineni (1)
Hineni, hineni
I'm ready, my lord
Hineni
Hineni, hineni
Hineni

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 (1) : Hineni (הִנֵּֽנִי) est un terme hébreu qui signifie « Je suis là » ou  « Me voici » et qui rappelle  le « Hineni » d’Abraham à l’ange de Yahvé qui vient lui l’enjoindre à ne pas sacrifier son fils Isaac.

Il y a un ton de testament dans le chant de Cohen ; « Hineni, hineni, I’m ready, my Lord » : « Me voici, me voici. Je suis prêt mon Seigneur. » 
Il y a une rumeur, confie le chanteur Gideon Zelermyer, selon laquelle Cohen serait gravement malade... 





lundi 3 octobre 2016

Alep, ville martyr

Le point de vue d’un homme de gauche

 

Devoir d’indignation

Devrait-elle, cette gauche, se taire quand l’assassin n’est plus George W. Bush mais Vladimir Poutine ?

PAR DENIS SIEFFERT 
PUBLIÉ LE 28 SEPTEMBRE 2016
Revue Politis





   « À l’heure où les bombes s’abattent sur Alep, notre indignation peut-elle encore servir à quelque chose ? Nos concitoyens sont à ce point saturés d’images dramatiques qu’il est devenu impossible de mobiliser les consciences. Leur réaction n’est certainement pas d’indifférence, mais d’incompréhension et de désarroi. Pourtant, oui, nous avons le devoir de parler, d’écrire et peut-être de hurler devant le massacre commis par l’infernal tandem Assad-Poutine. Nos protestations n’arrêteront évidemment pas le bras du crime, mais elles peuvent au moins nous permettre de régler un vieux compte avec une vision du monde qui devrait définitivement appartenir au passé. Un compte avec ces restes de pensée binaire et ces résurgences d’esprit de système qui, parfois encore, nous aveuglent. Il faudrait être avec Poutine pour être parfaitement anti-américain. Il faudrait condamner les déclarations de François Hollande à l’ONU parce que c’est François Hollande. Il faudrait excuser ce qui se passe en ce moment à Alep au nom de l’histoire longue du colonialisme et de la longue histoire des crimes occidentaux. Il faudrait trouver mille raisons pour justifier l’intervention russe, au mépris de l’évidence.
Mais qui est ce « nous », muet ou embarrassé, dont je parle ? C’est la gauche critique. Celle de Mélenchon et du PCF, notamment [1]. La gauche anti-guerre, celle qui a condamné l’invasion américaine en Irak, en 2003, cette monstruosité qui a inauguré un cycle de violences sans fin. Cette gauche qui dénonce si justement le commerce des armes, et stigmatise les liens coupables de la France avec l’Arabie saoudite. Cette gauche qui n’oublie jamais le conflit israélo-palestinien, énorme et originel contentieux entre les puissances occidentales et le monde arabo-musulman.
Devrait-elle, cette gauche, se taire quand l’assassin n’est plus George W. Bush mais Vladimir Poutine ? J’entends bien que la Russie a été humiliée, et comme sortie de l’histoire après l’effondrement de l’URSS. J’entends bien qu’elle se sent menacée à ses frontières par les installations de l’Otan. Je conçois qu’elle veuille sauver ses bases syriennes sur la Méditerranée. Mais rien ne justifie le massacre d’Alep, et notre silence complice. La pluie de bombes larguées au cours du week-end dernier sur la grande ville du nord a fait au moins deux cents morts. Selon l’ONG Save the children, beaucoup sont des enfants, comme près de la moitié des blessés hospitalisés. Suprême raffinement, l’aviation russe utilise des bombes à sous-munitions et un nouveau type de projectiles qui permettent de détruire un immeuble entier en un seul impact, et de pénétrer jusqu’au fond des abris souterrains où les familles trouvent refuge. Les convois sanitaires sont systématiquement ciblés, comme les hôpitaux. On retrouve à Alep la tactique du carpet bombing, dont Vladimir Poutine avait usé en Tchétchénie. Au cours de l’hiver 1999-2000, les bombardements russes avaient ainsi causé la mort de près de 200 000 Tchétchènes. Et Grozny était devenue la ville au monde la plus détruite depuis la Seconde Guerre mondiale. Va-t-on devoir inscrire Alep dans cette funeste lignée ? La violence extrême de la Russie rejoint celle de la famille Assad. Tuer « un million de martyrs » s’il le faut pour garder le pouvoir, avait prévenu un jour Rifa’at, l’oncle de Bachar. Au nom de l’asabiyya, la préservation du clan…
La guerre contre le terrorisme n’est évidemment dans tout cela qu’un très médiocre alibi. Rappelons qu’il y a, en quelque sorte, deux conflits distincts en Syrie. L’un à l’est du pays, mené par la coalition contre Daech. L’autre, à trois cents kilomètres de là, dans ce qu’on appelle la « Syrie utile », celle des grandes villes de l’ouest : Alep, Idlib, Homs, Hama, Damas, Deraa. C’est là que l’insurrection est née et s’est développée à partir de mars 2011. C’est cette Syrie, et cette insurrection, qui est frappée par la Russie et le régime. Ce sont majoritairement les habitants de ces régions qui fuient le pays. L’amalgame entre les deux guerres est au cœur du mensonge poutinien. Ce n’est pas Daech qui est visé à Alep, pour la bonne raison que cette organisation n’y est pas, repoussée qu’elle a été par les rebelles.
Si beaucoup est mensonge dans le discours russe et celui de Bachar Al-Assad, tout ne l’est pas. Au sein de l’insurrection, il est vrai que les jihadistes du Front Al-Nosra, rebaptisé récemment Fateh Al-Cham (Front de la conquête du Cham), ont pris au fil des années de plus en plus d’importance. Ce mouvement, dont les dirigeants ont été complaisamment sortis de prison par Bachar Al-Assad en septembre 2011, s’est renforcé à mesure que le régime durcissait la répression. Il a participé de la militarisation de la guerre civile, servi d’alibi à Damas pour attaquer l’insurrection et massacrer des centaines de milliers de civils. Mais il n’est pas vrai que la rébellion a disparu. Il n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’interlocuteurs non jihadistes qui puissent s’inscrire dans une perspective de règlement politique. Il est surtout erroné de croire encore que Bachar Al-Assad est celui qui fait barrage aux jihadistes. Il est, depuis 2011, celui qui les renforce. »
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[1] Le PCF a cependant publié lundi un communiqué demandant « un cessez-le-feu immédiat ».

samedi 17 septembre 2016



Note personnelle légère




   Fin du mois d’août, j’ai enfin acquis un vélo avec assistance électrique. Depuis, je fais tous mes petits déplacements en vélo. Les courses d’abord au village voisin, la côte pour sortir du mien ne me faisant plus peur. Je peux même revenir avec mes fontes remplies lourdement, il me suffit de demander une toute p’tite assistance.

   Mais surtout, j’ai pu répondre « présente » à la proposition d’amis qui voulaient depuis un an faire un trip de trois jours en vélo sur la Vennbahn, littéralement « la voie de la Fagne », et qui traverse trois pays, le Luxembourg, l’Allemagne et la Belgique, dans une nature magnifique.







   C’était la semaine passée car les prévisions météo étaient excellentes. Et en effet, durant nos trois jours sur cette ancienne voie de chemin de fer (que l’on appelle chez nous un « ravel »), le ciel fut d’un parfait azur.






   Nous sommes arrivés en voiture jusqu’à Trois Vierges au Luxembourg, et de là nous sommes partis pour un périple de 140 km à vélo. Les hommes en vélo traditionnel, et les trois femmes en vélo électrique. 






Nous avons logé la première nuit dans une bien jolie auberge dite de jeunesse car la plus jeune de notre joyeuse bande avait 63 ans et le plus âgé taquinant déjà plus les 80 que les 70. La seconde nuit, nous l’avons passée au troisième étage d’une toute vieille demeure au cœur de la très jolie petite ville de Montchau.





  Un pur bonheur ! Une expérience superbe et qui m’a lavé l’esprit de tout ce vain inutile obsédant en temps ordinaire. Qu’est-ce que ça change en fait au cours des choses qui tournent mal en effet dans le monde, que je me fasse du bien avec des potes en me dépensant physiquement ? Rien, nada. Que du bienfaisant donc.





  C’est tout ce que je voulais partager. Rien, strictement rien d’autre. Du moins aujourd’hui.



  



vendredi 19 août 2016

Un article qui me donne à penser


Deux leçons d’un vieil imam

Par Bruno Latour, philosophe et anthropologue

janvier 2015







   « Les artistes donnent parfois d'avance la clef de l'actualité. Je ne fais pas allusion au roman de qui vous savez, mais au film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako. On y voit un imam local s'opposer aux djihadistes d'importation. Islam contre islam ? Non, un très vieil islam confronté à des étrangers incapables de comprendre l'histoire et les mœurs du pays sur lequel ils mettent la main, pour le libérer par la violence, en l'exploitant. Si cela vous rappelle quelque chose, c'est que les djihadistes agissent contre la cité vénérable exactement comme les colonisateurs de jadis. Au nom de l'autorité indiscutable des modernisateurs : « Il faut changer votre vie, radicalement, et tout de suite ». Pauvres habitants, moulinés par la colonisation et remoulinés par les djihadistes. Avec deux différences, il est vrai capitales. Ce que les colonisateurs détruisaient, c'était au nom d’un futur — totalement imaginaire — alors que les terroristes actuels le font pour revenir à un passé — lui aussi totalement utopique. Mais surtout, il y avait encore parmi les modernisateurs de jadis des conflits entre les différentes instances ; missionnaires, administrateurs, militaires, aventuriers et exploiteurs se disputaient copieusement. Les djihadistes qui occupent Timbuktu ont unifié en une seule certitude absolue ce que demande le droit, le pouvoir, Dieu, et le profit. Pour eux le jugement et l'exécution sont dans la même main : celle de Dieu, à savoir la leur. Les efforts du vieil imam pour différencier les sources d'autorité échouent parce que les djihadistes les ont toutes télescopées en un seul fléau qu'ils manient sans trembler. Ne leur parlez pas de pluralisme. Ils savent, ils décident, et ils tuent. Tout en un. L’imam permet de tirer deux leçons sur les événements récents. Contre ce genre d'assassins, impossible d'en appeler à une « guerre de civilisation » : c'est notre civilisation, ce sont nos enfants, ils nous appartiennent ; ils sont habités par nos rêves de transformations radicales poussées à bout, amputées et inversées. Il faut s'y faire : les tueurs sont de « bons Français ». Oui, c'est une plaie, mais elle ne nous est pas étrangère. Ceux qui défilent avec raison contre les crimes des assassins n’ont-ils jamais célébré les « sacrifices indiscutables » auxquels il faut tous nous soumettre au nom de « l’inévitable modernisation », au besoin par la violence ? Si nous leur faisons la guerre, alors c'est à nous qu'il faut la faire : d'où vient ce rêve depuis longtemps tourné en cauchemar ? De cette même source qui n'est toujours pas tarie : certains possèderaient un savoir si absolu qu'ils pourraient l'imposer sans avoir à prendre en compte les inévitables ralentissements du droit, de la politique, des mœurs, de la culture et du simple bon sens. Certains s'arrogent le droit au nom de l'utopie d'un paradis sur terre de créer l'enfer pour ceux qui doutent ou n'obéissent pas assez vite. On ne pourra pas lutter contre les nouveaux criminels tant qu'on ne comprend pas que, derrière leur archaïsme de façade, ce sont avant tout des modernisateurs forcenés. On objectera qu'on ne doit pas comparer l'idéal de modernisation toujours renaissant avec ces militants archaïques et sanguinaires puisqu'ils agissent au nom de Dieu et que la religion, les modernisateurs le savent, c'est une affaire terminée. Oui, la religion joue un rôle. Il est possible que l'idée d'un Dieu unique pousse à télescoper toutes les sources d'autorité — c'est aux spécialistes de le dire. Pourtant, plus que la quantité de religion, ce serait plus utile de considérer la différenciation dont une civilisation est capable. Le vieil imam est bien plus religieux que ceux qu'il combat mais il est surtout plus articulé. S'il est lui aussi dans la main de Dieu, il ne la confond pas avec la sienne. C'est toute la différence. Le djihâd, explique-t-il à l'un des fanatiques, c'est sur lui qu'il le fait et cela ne lui apporte aucune certitude. Au contraire, ça le fait trembler. Comme l'a montré Eric Voegelin, la modernité commence pour de bon quand la religion perd son incertitude et devient la réalisation sur terre de ce qui doit rester dans l’au-delà. Le modernisateur devient certain de pouvoir achever les fins de la religion par la politique. Et plus tard, comme le montre encore Voegelin, on oubliera tout à fait la religion ; il ne restera que le droit de faire de la politique — de gauche comme de droite — au nom d'une certitude absolue empruntée à tort au sentiment religieux. D'où notre stupéfaction de voir revenir le religieux dans l'assassinat politique. En fait, il ne l’avait pas quitté ; les anti-religieux modernisateurs ou révolutionnaires sont religieux de part en part puisqu'ils connaissent le sens de l'histoire et par quels violents arrachements il faut y mener les rétifs ou les infidèles. Le vieil imam de Timbuktu insiste en dodelinant de la tête que Dieu peut être le sait, mais pas lui ; et qu'il ne veut donc pas risquer de commettre le crime juridique, le péché religieux, la faute politique, de confondre les deux. Au fond, sa leçon revient à découvrir comment extirper le religieux de la politique, mais c'est une question, ou plutôt un devoir d'examen de conscience, qui s'adresse à tous, révolutionnaires, modernisateurs, aussi bien que djihadistes bien de chez nous. Il faut redifférencier les sources d'autorité ; ce qui revient probablement à attendre moins de la politique. Contre le nihilisme, étrangement, il faut apprendre à dire « non ». Non, la politique ne peut pas faire le paradis sur terre. Non, ce n’est pas à l'État de procurer une identité protectrice. Non, la religion n'est pas là pour apporter des certitudes. Non, il n'y a pas un front de modernisation. Non, il n'y a pas de sens de l'histoire. Déceptions nécessaires pour redonner du sens au mot civilisation, un simple modus vivendi. Ce n’est pas assez ? En voulant plus, on a toujours fait pire. Ce que l'imam ne dit pas, c'est à quel point ces décharges de violence sont inintéressantes. Au chagrin de pleurer les morts, s'ajoute le désespoir de voir des actions survenir tellement à contretemps. Car enfin, quand les djihadistes nous menacent de l'apocalypse, ils ne semblent pas s'apercevoir qu'une autre apocalypse nous menace pour laquelle, pas plus que leurs prédécesseurs, ils n'ont le plus petit début de réponse. S'il faut défiler en masse ce devrait être aussi pour affronter la mutation écologique dont tous les modernisateurs sont cette fois directement responsables. Avons-nous pour cela une civilisation assez articulée — au sens du vieil imam ? »



Paru dans Le Monde



lundi 8 août 2016

Méditations personnelles


Lundi 8 août 2016


Questionnement sur une comparaison








   Peut-on comparer le courant pacifiste à tout prix des années 30 avec l’injonction au vivre-ensemble qui fleurit dans la bouche des politiciens et nombre de médias aujourd’hui, suite à la succession d’attentats terroristes islamistes en France, Belgique et Allemagne ?[1]

Celle qui l’affirme s’appuie sur une citation de Raymond Aron qui interroge le pacifisme au lendemain des élections législatives allemandes de juillet 1932,  qui voient le parti nazi devenir le premier parti du pays, en ces termes : "Une conception de ce type { qui affirme que les responsabilités entre états belligérants sont toujours partagées } suppose que les États aux prises soient de même type, que leurs responsabilités dans l'explosion  soient sinon égales, du moins comparables, enfin elle suppose que les conflits ne soient jamais inévitables et n'aient jamais un enjeu historique qui enjoigne à l'homme de pensée une prise de position nette pour un des camps. »

   On ne peut que donner raison à l’historien Aron car si le pacifisme franco-allemand au lendemain du Traité de Versailles se justifiait entièrement (et pour une part ce courant influencera la construction européenne après les horreurs phénoménales de la Seconde Guerre Mondiale), il s’aveugle devant la menace que représente le parti nazi qui emporte les élections en 1932 et qui positionne de façon incontournable Adolf Hitler comme futur chancelier. Il est évident que ce pacifisme à tout prix mais aussi les traumas récents de la Première Guerre Mondiale ont conduit les représentants britannique (Chamberlain) et français (Daladier) aux accords catastrophiques de Munich (1938).

   Mais cette réflexion de l’historien Aron sur le courant pacifiste des années 30 qui voient gagner le nationalisme nazi, peut-elle s’appliquer sans réserve à l’injonction actuelle de nombreux politiques et médias français, belges ou allemands à ne pas succomber aux amalgames entre musulmans et islamistes et qui enjoignent au bien vivre ensemble ?

 Voilà ce qui me pose question, vraiment question. Et d’abord, par le biais de la réflexion de Raymond Aron, de mettre ainsi en parallèles Munich 1938 et la résistance de personnalités politiques et journalistiques à la logique infernale que nous impose Daesh et tous les mouvements islamistes fascistes mondiaux sur nos propres territoires européens.
 Car s’il peut être effectivement utile de méditer la réflexion d’Aron pour notre aujourd’hui, c’est vis-à-vis des responsables de l’islamo-fascisme qu’elle doit s’appliquer. Or nous sommes, ce me semble, entrés militairement en guerre effective contre lui au Moyen Orient, et policièrement dans nos pays.

 J’ai ressenti un très désagréable sentiment en lisant cette note, et il ne s’est qu’amplifié en lisant ses commentaires élogieux. Je rejette par avance toute construction interprétative qui s’imaginerait que de façon a priori je chercherais à m’opposer par principe au duo qui tient ce blog et avec les publications duquel je me suis auparavant déjà effectivement opposée avant d’être devenue persona non grata, car je partage avec ses auteurs, la nécessité toujours actuelle du combat  contre l’antisémitisme, et qui, j’insiste, trouve un nouveau souffle en Europe avec la judéophobie arabe et l’extrême-gauche antisioniste.
 Sentiment de grand malaise car mettre sur le même pied Munich 1938 et la volonté d’hommes et de femmes de résister en prônant le vivre ensemble, c’est implicitement considérer que nous devrions entrer en guerre civile. Ce qu’espère le pseudo état islamique  et qu’il applaudirait à coups de salves guerrières de kalachnikovs au Moyen Orient.


   Nous sommes tous surpris par la rapidité et les modes par lesquels des pseudos musulmans de chez nous, jeunes pour la plupart, se radicalisent et basculent dans la plus inouïe des violences. Et la sans doute inévitable médiatisation des actes terroristes commis en entraîne d’autres, par effet de mode et de mimétisme. A Nice, à Charleroi hier, on apprend  que les assassins se sont « islamisés » à la vitesse V’, sans doute d’abord par internet. Comment combattre un tel phénomène totalement inédit ? C’est extrêmement compliqué. Il faut en tout cas octroyer aux services de sécurité de nos pays tous les moyens indispensables afin qu’ils puissent mener la chasse à ce nouveau terrorisme islamo-fasciste.
 Il faut développer la surveillance de certaines mosquées, et urgemment les fonds investis par certains états comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar sur ce terrain. Il faudrait donc surtout et avant tout que nos pays aient une position claire et courageuse vis-à-vis de pays pétroliers du Golfe et rompent tout commerce avec eux tant que leur position vis-à-vis de l’islamo-fascisme reste ambiguë. Pareil à l’égard du quasi sultan Erdogan en Turquie. L’argent n’a pas d’odeur ? Que oui ! Et bel et bien celui du sang quand il se compromet avec une idéologie mondiale fascisante. Mais quel gouvernement démocratique se battant en vain contre le taux de chômage inéluctable en son pays s’honore-t-il d’un tel courage politique ?  Je crois, aucun. Et s’il y a à user encore de la formule fétiche et usée de Munich 1938, ce serait d’abord contre nos états qui, au nom de l’ultra libéralisme, pactisent encore et toujours avec des états voyous.


   Il faut enfin sortir de notre sorte de paresse vis-à-vis de la religion de l’islam et qui nous maintient dans une indifférenciation de ses courants. On traiterait n’importe quel écrivant de chez nous d’analphabète s’il confondait dans le christianisme, et surtout en référence au long temps des guerres dites de religion, le culte catholique, orthodoxe, protestant, et dans celui-ci, les obédiences luthérienne, calviniste ou anglicane.
  
  Et c’est en effet regrettable que la maire de la ville de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini, défile dans la rue, main dans la main, avec  un Hassan Iquioussen, membre de la confrérie des Frères Musulmans et qui tient pour sa communauté des propos inacceptables en démocratie. Il nous faut des connaissances beaucoup plus pointues pour différencier les idéologies islamistes totalitaires de la simple croyance de la grande majorité de nos concitoyens musulmans.


 C’est certain aussi que nous devons lutter pour le maintien d’un état neutre et laïc, demeurer vigilants afin que tous ses agents en fonction le garantissent tel quel et cela sans la moindre compromission. C’est certain sans doute aussi que dans les années à venir, la chose publique devrait à nouveau devenir comme il se devrait incessamment en démocratie, l’affaire de tous ses citoyens.

   J’en termine avec ma méditation du jour. Les temps sont d’une infinie complexité et d’une nouveauté tragique radicalement inédite. Du passé en effet nous devons tirer les leçons, autant celui d’un pacifisme aveuglé dans les lugubres années 30 qui nous aura par exemple entraînés aux désastreux accords de Munich et qui doivent nous garder vigilants vis-à-vis de la paix à tout prix, que celui du populisme, du nationalisme xénophobe et de la monstration d’un unique bouc émissaire proposé  à la vindicte d’un peuple en souffrance.



P.S. Mon texte n’est qu’un essai de réflexion. Je ne pense aucunement que je puisse avoir raison dans tout ce que j’avance. Je tente seulement de réfléchir au mieux, seulement avec les moyens qui sont les miens dans une époque extrêmement, profondément troublée, et qui ne peut se satisfaire de comparaisons avec notre passé (européen).