Deux interviews de l’islamologue et
écrivain Rachid Benzine, auteur de Nour,
pourquoi n’ai-je rien vu venir ?
Et
Extrait d’un compte rendu du livre de
Rachid Benzine
Nour,
pourquoi n’ai-je rien vu venir ?
Par Seydi Diamil Niane
Le livre de Rachid Benzine a donné lieu à
une mise en scène théâtrale et le spectacle intitulé Lettres à Nour est joué
pour le moment à Liège. Des
représentations seront aussi programmées pour le public scolaire. J’espère que
ce spectacle sera aussi présenté en France.
Voir ici la première interview de Rachid Benzine sur LCI : https://www.youtube.com/watch?v=WjE649-1gmM
Extrait du compte rendu :
(…) « Nour,
pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » C’est la question que se pose un père
meurtri qui croyait être à l’abri des assassins de l’aube. Le choix de Rachid
Benzine, de donner la parole au père et non pas à la mère, comme c’est souvent
le cas, est original. Ce père intelligent, cet intellectuel brillant nous
pousse à repenser le processus de radicalisation, que l’on associe assez
souvent à une prétendue ignorance des embrigadés : « Tu as à peine
vingt ans, lui dit-il. Tu
es brillante dans tes études de philosophie et de sciences religieuses. »
Nour n’est pas une pauvre idiote. Tout le dialogue avec son père, dont nous
n’avons malheureusement pas le nom, témoigne de son niveau intellectuel. Et ce
père qui a fait aimer les sciences à sa Nour n’a pas pu résister au sentiment
de culpabilité : « Je me sens si coupable ! »,
regrette-t-il.
Dès la première
lettre de Nour, datée du 13 février 2014, Rachid Benzine nous fait part d’une
des explications du processus d’embrigadement : « Ici, nous allons
recréer la cité radieuse, un monde humain enfin à l’image d’Allah, gloire à
Lui, et du Prophète, paix et salut sur lui. » C’est le fameux mythe du
califat. Mythe, parce que cette citée radieuse n’a jamais existé. Trois des
quatre califes du Prophète ont été tués. Et les premiers siècles de l’islam,
tant exaltés par les salafistes, ont connu une multitude de révoltes.
La vision
binaire du monde est l’une des caractéristiques des mouvements djihadistes. Si
vous n’êtes pas avec nous et comme nous, vous êtes contre nous. Le jugement de
Nour en est la preuve : « Tu es à l’image des peuples arabes,
courbant la tête, dénonçant les injustices mais préférant la poésie à l’action,
tes livres au glaive qui doit faire justice, écrit-elle
à son père depuis Fallujah. Tu es complice de ces systèmes qui broient des
femmes, des enfants, des hommes, des cultures et notre islam. L’hégémonie des
peuples du Nord est telle que tu te réfères plus volontiers aux penseurs
occidentaux qu’aux philosophes musulmans. » Pourtant, le fait
qu’Averroès, l’un des plus grands penseurs musulmans, soit occidental, ne doit
pas échapper à une brillante intellectuelle comme Nour. Mais c’est justement
là, une preuve de l’aveuglement et du cynisme des djihadistes. Et Rachid
Benzine le montre très bien.
Cette vision
binaire du monde, nous autres musulmans, en souffrons quotidiennement. Le père
de Nour nous le rappelle : « Avant-hier, deux journaux proches des
milieux islamistes ont cité mon nom en me décrivant comme un hypocrite, un kāfir, un apostat. Moi qui
passe tant de temps en prière, en étude du Coran, je deviens un ennemi à
abattre. » Et ce
sont nous, les universitaires, qui sommes les plus visés : « Mon
crime, tu le connais : chercher la vérité sur notre religion est devenu un
sacrilège. » Il y a quelques années, Mohammed Arkoun dénonçait, à
juste titre, « les clôtures dogmatiques. »
Que faire des
repentis qui souhaiteraient revenir parmi « nous » ?
Les tuer, les mettre dans des camps de concentration ? Il faut certes les
juger. Cependant, tant qu’il y a de l’espoir, il faut leur redonner une chance
après leur jugement. Le plus ignoble parmi nous, pourrait retrouver la raison
pour œuvrer en vue de la réhabilitation de l’Homme. « Il ne faut pas fixer
l’Homme, disait Frantz Fanon, car son destin est d’être lâché. » C’est ce
que Rachid Benzine fait
dire au père de Nour à plusieurs reprises : « Je t’en
supplie, reviens ma petite Nour adorée ! Reviens avec ton mari. Vous vous
installerez dans la maison, et moi j’irai habiter la maisonnette au fond du
jardin. »
Mais ne nous
faisons pas d’illusions. Rachid Benzine nous montre à quel point il est
difficile de convaincre un(e) djihadiste comme Nour qui, je le répète, est une
intellectuelle convaincue d’œuvrer pour le bien de l’humanité !
D’ailleurs, elle n’hésite pas, dans plusieurs de ses lettres, d’essayer de
recruter son père : « Papa, viens ! Ici tu trouveras ton
Salut ! »
La lutte contre
le djihadisme ne se gagne pas uniquement sur le terrain militaire. Il faut
aussi mener une bataille idéologique qui consistera à désacraliser une bonne
partie de la littérature religieuse. Il faut oser briser les tabous,
déconstruire les idées reçues non pas dans le but de profaner une religion,
mais pour mieux s’enraciner dans notre foi. Le djihadisme n’est pas venu de
nulle part. Il y a une idéologie derrière, basée sur la certitude. Nour le fait
comprendre à son père : « Le brillant universitaire nourri de
raison et de spiritualité ne trouve plus les mots pour convaincre sa
fille ! »
Pour lutter efficacement
contre le djihadisme, il faut commencer par la lutte contre les certitudes.
Rachid Benzine nous le rappelle : « Tu le sais bien, ma
petite Nour : le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance
mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en
enfer ! » Ceci, la fille le sait très bien, disons plutôt qu’elle
s’en est rendu compte. Mais je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, par
lui-même, la dernière lettre de Nour. (…) »
Seydi Diamil Niane