mercredi 25 janvier 2017


Deux interviews de l’islamologue et écrivain Rachid Benzine, auteur de Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?
Et
Extrait d’un compte rendu du livre de Rachid Benzine
Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?
Par Seydi Diamil Niane



   

   Le livre de Rachid Benzine a donné lieu à une mise en scène théâtrale et le spectacle intitulé Lettres à Nour est joué pour le moment à Liège. Des représentations seront aussi programmées pour le public scolaire. J’espère que ce spectacle sera aussi présenté en France.

 Voir ici la première interview de Rachid Benzine sur LCI : https://www.youtube.com/watch?v=WjE649-1gmM
  
      Extrait du compte rendu :

   (…) « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » C’est la question que se pose un père meurtri qui croyait être à l’abri des assassins de l’aube. Le choix de Rachid Benzine, de donner la parole au père et non pas à la mère, comme c’est souvent le cas, est original. Ce père intelligent, cet intellectuel brillant nous pousse à repenser le processus de radicalisation, que l’on associe assez souvent à une prétendue ignorance des embrigadés : « Tu as à peine vingt ans, lui dit-il. Tu es brillante dans tes études de philosophie et de sciences religieuses. » Nour n’est pas une pauvre idiote. Tout le dialogue avec son père, dont nous n’avons malheureusement pas le nom, témoigne de son niveau intellectuel. Et ce père qui a fait aimer les sciences à sa Nour n’a pas pu résister au sentiment de culpabilité : « Je me sens si coupable ! », regrette-t-il.
Dès la première lettre de Nour, datée du 13 février 2014, Rachid Benzine nous fait part d’une des explications du processus d’embrigadement : « Ici, nous allons recréer la cité radieuse, un monde humain enfin à l’image d’Allah, gloire à Lui, et du Prophète, paix et salut sur lui. » C’est le fameux mythe du califat. Mythe, parce que cette citée radieuse n’a jamais existé. Trois des quatre califes du Prophète ont été tués. Et les premiers siècles de l’islam, tant exaltés par les salafistes, ont connu une multitude de révoltes.
La vision binaire du monde est l’une des caractéristiques des mouvements djihadistes. Si vous n’êtes pas avec nous et comme nous, vous êtes contre nous. Le jugement de Nour en est la preuve : « Tu es à l’image des peuples arabes, courbant la tête, dénonçant les injustices mais préférant la poésie à l’action, tes livres au glaive qui doit faire justice, écrit-elle à son père depuis Fallujah. Tu es complice de ces systèmes qui broient des femmes, des enfants, des hommes, des cultures et notre islam. L’hégémonie des peuples du Nord est telle que tu te réfères plus volontiers aux penseurs occidentaux qu’aux philosophes musulmans. » Pourtant, le fait qu’Averroès, l’un des plus grands penseurs musulmans, soit occidental, ne doit pas échapper à une brillante intellectuelle comme Nour. Mais c’est justement là, une preuve de l’aveuglement et du cynisme des djihadistes. Et Rachid Benzine le montre très bien.
Cette vision binaire du monde, nous autres musulmans, en souffrons quotidiennement. Le père de Nour nous le rappelle : « Avant-hier, deux journaux proches des milieux islamistes ont cité mon nom en me décrivant comme un hypocrite, un kāfir, un apostat. Moi qui passe tant de temps en prière, en étude du Coran, je deviens un ennemi à abattre. »  Et ce sont nous, les universitaires, qui sommes les plus visés : « Mon crime, tu le connais : chercher la vérité sur notre religion est devenu un sacrilège. » Il y a quelques années, Mohammed Arkoun dénonçait, à juste titre, « les clôtures dogmatiques. »
Que faire des  repentis  qui souhaiteraient revenir parmi « nous » ? Les tuer, les mettre dans des camps de concentration ? Il faut certes les juger. Cependant, tant qu’il y a de l’espoir, il faut leur redonner une chance après leur jugement. Le plus ignoble parmi nous, pourrait retrouver la raison pour œuvrer en vue de la réhabilitation de l’Homme. « Il ne faut pas fixer l’Homme, disait Frantz Fanon, car son destin est d’être lâché. » C’est ce que  Rachid Benzine fait dire au père de Nour à plusieurs reprises : « Je t’en supplie, reviens ma petite Nour adorée ! Reviens avec ton mari. Vous vous installerez dans la maison, et moi j’irai habiter la maisonnette au fond du jardin. » 
Mais ne nous faisons pas d’illusions. Rachid Benzine nous montre à quel point il est difficile de convaincre un(e) djihadiste comme Nour qui, je le répète, est une intellectuelle convaincue d’œuvrer pour le bien de l’humanité ! D’ailleurs, elle n’hésite pas, dans plusieurs de ses lettres, d’essayer de recruter son père : « Papa, viens ! Ici tu trouveras ton Salut ! »
La lutte contre le djihadisme ne se gagne pas uniquement sur le terrain militaire. Il faut aussi mener une bataille idéologique qui consistera à désacraliser une bonne partie de la littérature religieuse. Il faut oser briser les tabous, déconstruire les idées reçues non pas dans le but de profaner une religion, mais pour mieux s’enraciner dans notre foi. Le djihadisme n’est pas venu de nulle part. Il y a une idéologie derrière, basée sur la certitude. Nour le fait comprendre à son père : « Le brillant universitaire nourri de raison et de spiritualité ne trouve plus les mots pour convaincre sa fille ! »
Pour lutter efficacement contre le djihadisme, il faut commencer par la lutte contre les certitudes. Rachid Benzine nous le rappelle : « Tu le sais bien, ma petite Nour : le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en enfer ! » Ceci, la fille le sait très bien, disons plutôt qu’elle s’en est rendu compte. Mais je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, par lui-même, la dernière lettre de Nour. (…) » 
Seydi Diamil Niane


mercredi 11 janvier 2017

   



Petit éloge du droit







     Le mot démocratie s’emploie à toutes les sauces mais il importe, particulièrement en période troublée, de se rappeler que ce sont ses lois qui la rendent possible et effective.

  J’éprouve une admiration bien réelle face à tous ceux qui, au cours de notre récente histoire en démocratie –  qui doit beaucoup aux penseurs des Lumières -, ont été capables de formuler des textes de loi qui s’appliquent à tous, à toutes, veillant en même temps à préserver les libertés individuelles et le bien commun. Autrement dit, qui édictent les droits en même temps que les devoirs.

 Une loi, c’est aussi périlleux à rédiger qu’une authentique définition. Du temps où j’enseignais l’histoire de la philosophie, dans le cadre d’un chapitre consacré à Socrate (et au dialogue Le Ménon, signé Platon), je proposais à mes élèves de tenter de définir une simple table. Car au fond, définir, c’est comme en justice, dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité (de la chose).
 Exercice difficile, même quand il n’est question que d’un meuble très ordinaire. Allez-vous définir la table par ses caractéristiques visibles ? Vous n’y arriverez pas. Une table a-t-elle quatre pieds, trois, deux ou au minimum un pied ? Que nenni, et d’ailleurs un designer pourrait fort bien concevoir une table sans aucun pied au sol et la fixer à partir de tiges rigides ancrées dans le plafond. Une table peut-elle mieux se définir par le matériau utilisé ? Que nenni encore. Et si vous vous obstinez à la définir par ses caractéristiques sensibles, vous n’arriverez jamais à la distinguer en particulier d’une étagère ou d’un appui de fenêtre.
 J’ai aimé ce petit exercice exigeant, renouvelé chaque année avec mes élèves. Et au bout du compte, nous sommes toujours tombés d’accord qu’une table ne peut se définir que par sa fonction. Table à manger, à dessiner, à repasser ou d’opération, chacune suppose la pleine liberté des mouvements des mains pour telle ou telle activité. Ni plus, ni moins. La preuve la plus forte, c’est le fait qu’on parle bien de table d’opération et non de lit d’opération car à ce moment-là, ce sont bien les mains du chirurgien qui sont bien plus précieuses pour la patient que son confort à lui.

 Oui, une loi, comme une définition, doit dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Autrement dit, elle doit s’extraire du contingent et du particulier et s’imposer au niveau du nécessaire et de l’universel. C’est d’ailleurs quand elle est trop dictée par une contingence particulière, qu’une loi finit par se faire abroger. Une loi cohérente par contre peut assez aisément permettre de nouveaux amendements au vu des nouvelles donnes du temps présent.

   La loi française de 1905 en matière de laïcité conserve toute sa pertinence et son efficience, quand bien même elle avait été rédigée à une époque où n’avait pas encore eu lieu une importante immigration maghrébine de culture musulmane. Elle acte définitivement la séparation des pouvoirs politique et religieux. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes (article 1er) et la neutralité de l’Etat. La loi de 1905 suffit par exemple pour condamner l’intervention d’une déléguée communiste dans un bureau de vote de Toulouse, lors du premier tour des élections départementales du 22 mars 2015, et qui a exigé, au nom de la laïcité, que le rabbin Avraham Weill retire sa kippa avant de se rendre dans l’isoloir. Le rabbin portera plainte et le droit ne peut que lui donner raison. Le citoyen a en effet droit à sa liberté de conscience, mais dans l’exercice de leur fonction, les membres du bureau de vote se doivent, quant à eux, d’être neutres car ils représentent alors l’Etat. Autrement dit, si le rabbin Weill avait été président ou assesseur, il aurait dû remplir son devoir citoyen sans la kippa.

  Oui, la loi impose la neutralité à l’Etat et à ses représentants dans leur fonction, mais nullement à ses citoyens, ni dans la rue ni dans ses établissements publics.
  De même par exemple dans les hôpitaux. A la loi de 1905, fut ajoutée la circulaire du 2 février 2005, relative à la laïcité dans les établissements de santé publique. Je l’ai lue attentivement, et je la trouve tout à fait remarquable.

 Or, à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne, une affiche placardée à l’entrée a suscité une vive polémique, il y a quelques années. Sur l’affiche en effet, et en gras, d’abord ces termes : Laïcité, neutralité de l’espace public ; et dessous, l’avertissement suivant : Vous entrez dans un hôpital public ? L’hôpital est un établissement public. Cet espace est laïc et neutre. Le respect de cette neutralité suppose que les tenues vestimentaires ne représentent aucun signe ostensible lié à une religion quelle qu’elle soit. Et l’affiche d’aller jusqu’à citer la circulaire du 2 février 2005. Oui mais sauf qu’elle commet un total contresens car la neutralité dont il est fait référence ne s’applique, selon la loi, qu’aux employés de cette institution, et nullement à ses usagers. D’ailleurs, la circulaire va jusqu’à préciser que dans la mesure du possible, et sans nuire au bon déroulement des soins, les patients se voient garantir la libre pratique de leur culte et la manifestation de leurs convictions.

        La loi, toute la loi, et rien que la loi.


    Mais puisque tout est toujours plus complexe que ce qu’on en dit en le formalisant, j’ai été interpellée par le choix d’un hôpital universitaire de Bruxelles d’obédience chrétienne. Les infirmières musulmanes de cette clinique sont autorisées à porter une sorte de mini voile blanc qui ne recouvre que leur chevelure, et qui est le même dans tous les services. A la limite, celui-ci ressemble presque au couvre-chef infirmier d’autrefois et en tout cas au bonnet actuel (mais vert) du personnel en chirurgie, et du coup, il passe quasi inaperçu. Il se fait que pour raison personnelle, j’ai fréquenté cet hôpital quotidiennement, pendant plus d’un mois et j’ai pu constater que cela ne gênait personne. Pour ma part, j’ai trouvé que cette réglementation était judicieuse, n’offusquant ni ne lésant personne. Un compromis « à la belge » comme on dit chez nous dans de très nombreuses situations ? Oui, sans doute. Mais ce qui importe c’est que des jeunes femmes de culture et de conviction musulmane ne soient pas exclues du marché du travail. Car une femme musulmane qui travaille et gagne son propre salaire risque fort peu de succomber aux sirènes islamistes possiblement terroristes, à cause de leurs injonctions sexistes d’abord.

    Tiens, au fait, après la table, si on se mettait à définir ce qu’est le vivant humain ?


mardi 3 janvier 2017



Le poutinisme en France

Et la ferme à trolls à Saint-Pétersbourg






Une interview du journaliste d’investigation

Nicolas Hénin


(juin 2016)



A écouter ou réécouter d’urgence ! On y apprend entre autres une des raisons du soutien de Fillon pour la Russie orthodoxe de Poutine et que le FN du père et de la fille Le Pen bénéficie d’appuis financiers importants de sa part.



Et dans son essai, La France russe, Hénin évoque la ferme à trolls installée à Saint-Pétersbourg qui engage des centaines de blogueurs pour faire la propagande de la politique de Poutine.

Un bref extrait :


« Lorsqu’ils arrivent au travail, ces employés s’installent à des postes informatiques configurés de façon à dissimuler leur localisation. (…) Un certain nombre de ces trolls cherchent à se faire passer comme pro-occidentaux. Leur rôle est de tenir un discours qui sera ridiculisé par les autres. Un ancien employé rapporte ainsi qu’ils s’organisent en trinôme sur un sujet : l’un d’eux ouvre un débat dans les commentaires d’un média ou sur les réseaux sociaux à propos d’un sujet d’actualité. Il affiche des positions anti-Poutine caricaturales. Le travail des deux autres est ensuite de le démonter et de faire prévaloir les arguments de la narration officielle. L’ambiance de travail est effrayante. (…)

 D’après le New York Times qui cite plusieurs médias russes, la ferme à trolls de Saint-Pétersbourg est financée par Evguéni Prigogine, un oligarque proche de Poutine, propriétaire de la société de restauration collective Concord et surnommé le « chef de Poutine », Prigogine a un CV chargé. La presse russe rappelle qu’il a été condamné pour vol en 1979, puis de nouveau pour d’autres délits en 1981, avant d’être gracié, et finalement relâché en 1990. »