Lecture lente de
L’antisémitisme
dans les sociétés
marquées
par l’islam
de Günther Jikeli
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Pour
Pierre-André Taguieff[1],
la judéophobie mondialisée découle prioritairement de la propagande
antisioniste des pays arabes et de l’antijudaïsme théologique islamiste de
toutes obédiences (sunnite, chiite,…). L’auteur montre que la conception du
monde de certains islamistes est très nettement antisémite, que certains
lancent des appels au meurtre de juifs, et que cet appel à la haine meurtrière va
souvent de pair avec un puissant anti-américanisme. Mais hélas, il n’y a pas
que les islamistes radicaux ; et, surtout dans le conflit
israélo-palestinien, on entend des dirigeants dits « modérés » ou « libéraux »
qui lancent ce genre d’appel comme l’imam Ahmed al Tayed en poste à l’Université
islamique al-Azahr du Caire ou encore Yusuf al-Qaradawi, juriste mondialement
connu et qui entretient des liens étroits avec la communauté des Frères
musulmans. C’est à ce point que, d’après Günther Jikeli, les simples musulmans eux-mêmes ont du mal à
cerner la frontière qui sépare les mouvements islamistes antisémites du courant
général de l’islam.
Le Middle East Media Research Institute
(MEMRI) recèle des sources précieuses pour analyser l’antisémitisme ambiant
dans les médias des pays musulmans (médias arabes, iraniens, pakistanais,
soudanais), ainsi que les Archives Tom Lantos sur l’antisémitisme
et le négationnisme, et les comptes rendus d’ONG antiracistes, en particulier
ceux de l’Anti-Defamation League. Ces derniers regorgent d’exemples et
de brèves analyses à l’attention du grand public, portant sur l’antisémitisme
au sein du Hamas, dans la Confrérie (des Frères musulmans), dans la presse
arabe et iranienne.
Tous ces organes mettent en évidence le
phénomène de diffusion, de propagation et de réception des fumeux Protocoles des Sages de Sion. Ceux-ci
constituent certainement le texte le plus lu dans la pseudo littérature du « complot
juif ». La plupart des médias arabes, non seulement taisent l’origine tsariste
fallacieuse des Protocoles, mais
utilise cette référence comme une source absolument sérieuse et fiable.
De
même, ces institutions étudient comment se vit la perception de la Shoah dans
les pays musulmans. Celle-ci est souvent empreinte d’idées antisémites, et des
chercheurs comme Meir Litvak et Esther Webman, qui ont suivi l’évolution de la
perception de la Shoah dans le monde arabe depuis la fin de la Seconde Guerre
Mondiale à aujourd’hui, montrent qu’elle se caractérise par de l’ignorance « crasse »,
mais aussi par du négationnisme, une approbation clairement antisémite de la
Shoah, ou des comparaisons qui réécrivent
l’histoire.
Quelques recherches sont menées sur le cas de
la montée de l’antisémitisme en Turquie, où l’on constate une popularité
évidente de textes comme Mein Kampf et des Protocoles des Sages. Depuis 2005, le
pamphlet antisémite d’Adolf Hitler y est devenu un best-seller (plus d’un
million d’exemplaires vendus en deux mois) ; quant au faux historique, les
Protocoles des Sages, il a été
réédité 114 fois entre 1946 et 2012, la plupart du temps par des maisons d’édition
fondamentalistes.
Un tel antisémitisme turc serait surtout le
fait de groupes islamistes mais aussi d’ultranationalistes, et il trouve un
écho favorable dans le peuple. Le mouvement politique (AKP) dirigé par le
Président actuel Erdogan, au pouvoir depuis plus de dix ans, a contribué à une
généralisation massive de l’antisémitisme, particulièrement grâce à l’antisionisme.
Parmi les
islamistes turcs, sont principalement répandues des théories du complot mettant
en scène des crypto-juifs ou se rapportant à la fondation de la Turquie
moderne, ainsi que des théories du complot antisionistes. De prétendus
crypto-juifs, nommés Dönme, y sont diabolisés, présentés comme des traîtres et
considérés comme le principal obstacle aux tentatives pour passer de la
République turque sécularisée à une République turque islamique.[2]
Pour d’autres pays non arabes mais sous
influence musulmane, des comptes rendus existent de ce qui s’écrit dans la presse,
mais de véritables analyses de l’antisémitisme doivent encore être menées. L’auteur
de la présente étude signale tout de même la différence d’écho que donnent les
théories du complot juif au Pakistan, où elles sont très répandues dans l’opinion
publique, par rapport au Bangladesh où elles sont proportionnellement rares puisque
« seulement » 32% de la population y approuvait 6 des 11 énoncés
antisémites (cf. sondage évoqué plus haut) en 2013.
Et
Jikeli de conclure : Le peu d’intérêt
de la recherche pour cette question pourrait être lié au fait que ces pays ne
comptent aujourd’hui que peu de juifs parmi leurs habitants.
Il existe des initiatives dans les pays
arabes qui combattent explicitement l’antisémitisme mais elles sont isolées. Au
Maroc, a été créé l’Observatoire marocain de lutte contre l’antisémitisme, qui
compte parmi ses fondateurs principalement des berbères non-juifs vivant au
Maroc.
(À suivre)