mercredi 11 janvier 2017

   



Petit éloge du droit







     Le mot démocratie s’emploie à toutes les sauces mais il importe, particulièrement en période troublée, de se rappeler que ce sont ses lois qui la rendent possible et effective.

  J’éprouve une admiration bien réelle face à tous ceux qui, au cours de notre récente histoire en démocratie –  qui doit beaucoup aux penseurs des Lumières -, ont été capables de formuler des textes de loi qui s’appliquent à tous, à toutes, veillant en même temps à préserver les libertés individuelles et le bien commun. Autrement dit, qui édictent les droits en même temps que les devoirs.

 Une loi, c’est aussi périlleux à rédiger qu’une authentique définition. Du temps où j’enseignais l’histoire de la philosophie, dans le cadre d’un chapitre consacré à Socrate (et au dialogue Le Ménon, signé Platon), je proposais à mes élèves de tenter de définir une simple table. Car au fond, définir, c’est comme en justice, dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité (de la chose).
 Exercice difficile, même quand il n’est question que d’un meuble très ordinaire. Allez-vous définir la table par ses caractéristiques visibles ? Vous n’y arriverez pas. Une table a-t-elle quatre pieds, trois, deux ou au minimum un pied ? Que nenni, et d’ailleurs un designer pourrait fort bien concevoir une table sans aucun pied au sol et la fixer à partir de tiges rigides ancrées dans le plafond. Une table peut-elle mieux se définir par le matériau utilisé ? Que nenni encore. Et si vous vous obstinez à la définir par ses caractéristiques sensibles, vous n’arriverez jamais à la distinguer en particulier d’une étagère ou d’un appui de fenêtre.
 J’ai aimé ce petit exercice exigeant, renouvelé chaque année avec mes élèves. Et au bout du compte, nous sommes toujours tombés d’accord qu’une table ne peut se définir que par sa fonction. Table à manger, à dessiner, à repasser ou d’opération, chacune suppose la pleine liberté des mouvements des mains pour telle ou telle activité. Ni plus, ni moins. La preuve la plus forte, c’est le fait qu’on parle bien de table d’opération et non de lit d’opération car à ce moment-là, ce sont bien les mains du chirurgien qui sont bien plus précieuses pour la patient que son confort à lui.

 Oui, une loi, comme une définition, doit dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Autrement dit, elle doit s’extraire du contingent et du particulier et s’imposer au niveau du nécessaire et de l’universel. C’est d’ailleurs quand elle est trop dictée par une contingence particulière, qu’une loi finit par se faire abroger. Une loi cohérente par contre peut assez aisément permettre de nouveaux amendements au vu des nouvelles donnes du temps présent.

   La loi française de 1905 en matière de laïcité conserve toute sa pertinence et son efficience, quand bien même elle avait été rédigée à une époque où n’avait pas encore eu lieu une importante immigration maghrébine de culture musulmane. Elle acte définitivement la séparation des pouvoirs politique et religieux. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes (article 1er) et la neutralité de l’Etat. La loi de 1905 suffit par exemple pour condamner l’intervention d’une déléguée communiste dans un bureau de vote de Toulouse, lors du premier tour des élections départementales du 22 mars 2015, et qui a exigé, au nom de la laïcité, que le rabbin Avraham Weill retire sa kippa avant de se rendre dans l’isoloir. Le rabbin portera plainte et le droit ne peut que lui donner raison. Le citoyen a en effet droit à sa liberté de conscience, mais dans l’exercice de leur fonction, les membres du bureau de vote se doivent, quant à eux, d’être neutres car ils représentent alors l’Etat. Autrement dit, si le rabbin Weill avait été président ou assesseur, il aurait dû remplir son devoir citoyen sans la kippa.

  Oui, la loi impose la neutralité à l’Etat et à ses représentants dans leur fonction, mais nullement à ses citoyens, ni dans la rue ni dans ses établissements publics.
  De même par exemple dans les hôpitaux. A la loi de 1905, fut ajoutée la circulaire du 2 février 2005, relative à la laïcité dans les établissements de santé publique. Je l’ai lue attentivement, et je la trouve tout à fait remarquable.

 Or, à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne, une affiche placardée à l’entrée a suscité une vive polémique, il y a quelques années. Sur l’affiche en effet, et en gras, d’abord ces termes : Laïcité, neutralité de l’espace public ; et dessous, l’avertissement suivant : Vous entrez dans un hôpital public ? L’hôpital est un établissement public. Cet espace est laïc et neutre. Le respect de cette neutralité suppose que les tenues vestimentaires ne représentent aucun signe ostensible lié à une religion quelle qu’elle soit. Et l’affiche d’aller jusqu’à citer la circulaire du 2 février 2005. Oui mais sauf qu’elle commet un total contresens car la neutralité dont il est fait référence ne s’applique, selon la loi, qu’aux employés de cette institution, et nullement à ses usagers. D’ailleurs, la circulaire va jusqu’à préciser que dans la mesure du possible, et sans nuire au bon déroulement des soins, les patients se voient garantir la libre pratique de leur culte et la manifestation de leurs convictions.

        La loi, toute la loi, et rien que la loi.


    Mais puisque tout est toujours plus complexe que ce qu’on en dit en le formalisant, j’ai été interpellée par le choix d’un hôpital universitaire de Bruxelles d’obédience chrétienne. Les infirmières musulmanes de cette clinique sont autorisées à porter une sorte de mini voile blanc qui ne recouvre que leur chevelure, et qui est le même dans tous les services. A la limite, celui-ci ressemble presque au couvre-chef infirmier d’autrefois et en tout cas au bonnet actuel (mais vert) du personnel en chirurgie, et du coup, il passe quasi inaperçu. Il se fait que pour raison personnelle, j’ai fréquenté cet hôpital quotidiennement, pendant plus d’un mois et j’ai pu constater que cela ne gênait personne. Pour ma part, j’ai trouvé que cette réglementation était judicieuse, n’offusquant ni ne lésant personne. Un compromis « à la belge » comme on dit chez nous dans de très nombreuses situations ? Oui, sans doute. Mais ce qui importe c’est que des jeunes femmes de culture et de conviction musulmane ne soient pas exclues du marché du travail. Car une femme musulmane qui travaille et gagne son propre salaire risque fort peu de succomber aux sirènes islamistes possiblement terroristes, à cause de leurs injonctions sexistes d’abord.

    Tiens, au fait, après la table, si on se mettait à définir ce qu’est le vivant humain ?


10 commentaires:

  1. Bonjour notre Plume qui est Plume ; bonjour et bonne année. Souhaits classiques et non-dits. Par exemple : très bonne année grand-mère !

    Tu écris "C’est d’ailleurs quand elle est trop dictée par une contingence particulière, qu’une loi finit par se faire abroger." et tu tombes en plein dans les travers du pays voisin du tien, la France. Notamment sous le quinquennat Sarkozy, mais avec des velléités sous l'actuel. Tiens, jusqu'au Constitutionnel : la (trop fameuse) "déchéance de nationalité".

    Bon, je ne t'ai pas lue en entier. J'vas vouére...

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    1. Merci Bruno d'être passé. J'apprécie encore toujours la formalisation de l'impératif catégorique kantien, tel que celui-ci : "Agis toujours comme si tu étais législateur en même temps que sujet dans la république des volontés".

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  2. Chaque citoyen doit respecter la loi et la loi doit s'appliquer à tous et à toutes les religions de façon égalitaire sans discrimination. De fait la loi de 1905 n'a pas à être modifiée comme le réclame certains courants laïcistes mais appliquée totalement.
    J'ai travaillé quelques mois dans un hôpital dans les années 1970. J'étais tenue, comme tout le personnel soignant féminin, de porter un petit foulard sur la tête. Par soucis d'hygiène, je suppose. Il semblerait que cela ne soit plus le cas. En tout cas, cela ne gênait personne...
    Bonne année Plume.

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    1. Merci Annick pour ton commentaire.
      J'en profite pour ajouter que si je pense que le cadre de loi de 1905 demeure excellent, cela ne suppose pas pour moi qu'on ne puisse pas lui adjoindre d'éventuels amendements ni nouveaux alinéas si nécessaires. Je n'ai jamais bien sûr soutenu le port de la burqa mais, en son temps, j'ai seulement insisté qu'il s'agissait là d'un phénomène terriblement marginal. Il me paraît que c'est l'intelligence légaliste qui a pu empêcher que cet épiphénomène prenne de l'ampleur, et nul besoin même d'avoir eu à modifier la loi de 1905 pour autant : chaque citoyen doit pouvoir être reconnu dans l'espace public, comme il l'est sur sa carte d'identité ou son passeport. Je soutiens aussi l'interdiction du voile dans l'enseignement primaire et secondaire ainsi que l'obligation, dans l'enseignement primaire pour les petites filles de suivre le cours de natation mixte. (Cf. le recours de ces parents turco-suisses déboutés par la Cour Européenne elle-même ; parents condamnés à une amende à Bâle et qui interdisaient à leurs filles de moins de 10 ans d'y participer au nom de leur convictions religieuses.)
      Par contre, je serais pour une alternative dans les cantines scolaires quand elles servent du porc.
      Mon principe est dans les deux cas le même : la distinction entre le nécessaire (ou l'universel) et le contingent (ou le particulier).

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  3. A propos de longueur de jupe... Malala la jeune fille pakistanaise, prix Nobel de la paix porte l'uniforme comme les autres jeunes fille de son école. Sauf que sa jupe à elle est un peu plus longue... Cela ne l'a pas empêchée d'affronter courageusement les Talibans.

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  4. Bonjour Plumeplume
    Bel article, mais définir ce qu'est l'humain on y sera encore dans 10 siècles!

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    1. Merci Jog d'être venu jusqu'ici. En effet, Jog, nous serions encore là dans 10 siècles si nous prétendions pouvoir définir le vivant humain une fois pour toutes !

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  5. Ah l'état de droit! On connaît l'expression : "force revient à la loi". Certains aimeraient : "Dans certaines circonstances (lesquelles ?) loi doit revenir à la force". Agamben, toujours Agamben.
    Mais dans un état de droit seule la loi remplace la loi. LEX : un texte à lire que tout un chacun peut lire. Mais que dit la loi ?
    C'est tellement plus facile de faire un appel poujadiste à l'évidence "M'enfin, vous n'allez quand même pas me dire que ..." ou au bon sens "M'enfin, vous ne pensez quand même pas que ...".

    "définir ce qu’est le vivant humain ?"
    Là encore Agamben, lorsqu'il s'est agi de donner une nouvelle définition de la mort, dite cérébrale. A lire dans "homo sacer".



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    1. Salut Benoît,

      Loi de la force ou force de la loi. "Force de loi" est aussi le titre d'un des derniers essais signés Jacques Derrida.
      Oui, Agamben, et son "Homo sacer", une lecture difficile mais qui compte. Je t'avoue qu'à cause du grand froid actuel et qui atteint jusqu'aux camps de réfugiés parqués en Grèce, j'ai moi aussi repensé à ce ban contemporain dont parle Agamben dans son dernier chapitre intitulé : "le camp comme nomos de la modernité" ; chapitre que je me dois de relire aujourd'hui.

      Merci d'être passé.

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  6. Bonjour
    Retour du Pays de Galles où je suis arrivé la veille de la prestation de serment de Trump et du premier débat au Parlement à propos du Brexit. Conversations intéressantes avec mes amis gallois (en fait pour la plupart anglais) avec qui, bien que nous ne parlions habituellement pas politque ensemble, j'ai suivi le double feuilleton entre colère et rire.
    A commencé aussi le feuilleton Pénélope dont le travail d'assistante parlementaire a sans doute consisté;comme le suggère le Canard, à faire "tapisserie". Cela aussi m'a rappelé Agamben où il s'en prend à cette distinction simpliste "espace public, espace privé".
    PS Hier sur Arte, soirée thématique consacrée à Hannah Arendt. Plusieurs interviews intéressantes et dans le film un passage où elle essaye d'expliquer à ses étudiants : "Qu'est-ce que penser ?" Autre passage où elle dit "essayer de comprendre" est un travail intellectuel et ne signifie nullement justifier.

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