Frères Migrants
DÉCLARATION DES POÈTES
« L’écrivain Patrick Chamoiseau
lance un appel de solidarité avec les migrants. « Ne pas accueillir, même pour de bonnes raisons, celui
qui vient qui passe qui souffre et qui appelle est un acte criminel », affirme-t-il dans une « déclaration des poètes »
qui conclut Frères migrants, à paraître au Seuil. Mediapart la publie en
avant-première avec son accord.
1 - Les poètes
déclarent : Ni orpheline, ni sans effets, aucune douleur n’a de
frontières !
2 - Les poètes
déclarent que dans l’indéfini de l’univers se tient l’énigme de notre
monde, que dans cette énigme se tient le mystère du vivant, que dans ce mystère
palpite la poésie des hommes : pas un ne saurait se voir dépossédé de
l’autre !
3 - Les poètes
déclarent que l’accomplissement mutuel de l’univers, de la planète, du vivant
et des hommes ne peut s’envisager que dans une horizontale plénitude du
vivant — cette manière d’être au monde par laquelle l’humanité cesse
d’être une menace pour elle-même. Et pour ce qui existe…
4 - Les poètes
déclarent que par le règne de la puissance actuelle, sous le fer de cette
gloire, ont surgi les défis qui menacent notre existence sur cette
planète ; que, dès lors, tout ce qu’il existe de sensible de vivant ou
d’humain en dessous de notre ciel a le droit, le devoir, de s’en écarter et de
concourir d’une manière très humaine, ou d’une autre encore bien plus humaine,
à sa disparition.
5
- Les poètes déclarent qu’aller-venir et dévirer de par les rives du monde sont
un Droit poétique, c’est-à-dire : une décence qui s’élève de tous les
Droits connus visant à protéger le plus précieux de nos humanités ;
qu’aller-venir et dévirer sont un hommage offert à ceux vers qui l’on va, à
ceux chez qui l’on passe, et que c’est une célébration de l’histoire humaine
que d’honorer la terre entière de ses élans et de ses rêves. Chacun peut
décider de vivre cette célébration. Chacun peut se voir un jour acculé à la
vivre ou bien à la revivre. Et chacun, dans sa force d’agir, sa puissance
d’exister, se doit d’en prendre le plus grand soin.
6 - Les poètes
déclarent qu’en la matière des migrations individuelles ou collectives,
trans-pays, trans-nations et trans-monde, aucune pénalisation ne saurait être
infligée à quiconque, et pour quoi que ce soit, et qu’aucun délit de solidarité
ne saurait décemment exister.
7 - Les poètes
déclarent que le racisme, la xénophobie, l’indifférence à l’Autre qui vient qui
passe qui souffre et qui appelle sont des indécences qui dans l’histoire des
hommes n’ont ouvert la voie qu’aux exterminations, et donc que ne pas
accueillir, même pour de bonnes raisons, celui qui vient qui passe qui souffre
et qui appelle est un acte criminel.
8 - Les poètes
déclarent qu’une politique de sécurité qui laisse mourir et qui suspend des
libertés individuelles au nom de l’Ordre public contrevient au principe de
Sûreté que seul peut garantir l’exercice inaliénable indivisible des Droits fondamentaux.
9 - Les poètes
déclarent qu’une Constitution nationale ou supranationale qui n’anticiperait
pas les procédures d’accueil de ceux qui passent qui viennent et qui appellent,
contreviendrait de même manière à la Sûreté de tous.
10 - Les poètes
déclarent qu’aucun réfugié, chercheur d’asile, migrant sous une nécessité,
éjecté volontaire, aucun déplacé poétique, ne saurait apparaître dans un lieu
de ce monde sans qu’il n’ait — non pas un visage mais tous les visages,
non pas un cœur tous les cœurs, non pas une âme toutes les âmes. Qu’il incarne
dès lors l’Histoire de toutes nos histoires et devient par ce fait même un
symbole absolu de l’humaine dignité.
11 - Les poètes
déclarent que jamais plus un homme sur cette planète n’aura à fouler une terre
étrangère — toute terre lui sera native —, ni ne restera en marge
d’une citoyenneté — chaque citoyenneté le touchant de ses grâces —,
et que celle-ci, soucieuse de la diversité du monde, ne saurait décider des
bagages et outils culturels qu’il lui plaira de choisir.
12 - Les poètes
déclarent que, quelles que soient les circonstances, un enfant ne saurait
naître en dehors de l’enfance ; que l’enfance est le sel de la terre, le
sol de notre sol, le sang de tous les sangs, que l’enfance est donc partout
chez elle, comme la respiration du vent, le salubre de l’orage, le fécond de la
foudre, prioritaire en tout, plénière d’emblée et citoyenne d’office.
13 - Les poètes
déclarent que la Méditerranée entière est désormais le Lieu d’un hommage à ceux
qui y sont morts, qu’elle soutient de l’assise de ses rives une arche
célébrante, ouverte aux vents et ouverte aux plus infimes lumières, épelant
pour tous les lettres du mot accueil dans toutes les langues, dans tous
les chants, et que ce mot constitue uniment l’éthique du vivre-monde.
14 - Les poètes
déclarent que les frontières ne signalent qu’une partition de rythmes et de
saveurs, qui n’oppose pas mais qui accorde, qui ne sépare que pour relier, qui
ne distingue que pour rallier, et que dès lors aucun cerbère, aucun passeur,
n’y trouvera à sévir, aucun désir n’y trouvera à souffrir.
15 - Les poètes
déclarent que toute Nation est Nation-Relation, souveraine mais solidaire,
offerte au soin de tous et responsable de tous sur le tapis de ses frontières.
16 – Frères
migrants, qui le monde vivez, qui le vivez bien avant nous, les poètes
déclarent en votre nom, que le vouloir commun contre les forces brutes se
nourrira des infimes impulsions. Que l’effort est en chacun dans l’ordinaire du
quotidien. Que le combat de chacun est le combat de tous. Que le bonheur de
tous clignote dans l’effort et la grâce de chacun, jusqu’à nous dessiner un
monde où ce qui verse et se déverse par-dessus les frontières se transforme là
même, de part et d’autre des murs et de toutes les barrières, en cent fois cent fois cent
millions de lucioles ! —
une seule pour maintenir l'espoir à la portée de tous, les autres pour garantir
l’ampleur de cette beauté contre les forces contraires.
Paris, Genève, Rio,
Porto Alegre, Cayenne,
La Favorite,
Décembre 2016 »
Porto Alegre, Cayenne,
La Favorite,
Décembre 2016 »
Un poète (ou quelques uns) peut-il écrire "LES poètes déclarent" ?
RépondreSupprimerOn ne peut qu'être d'accord sur des principes universalistes, mais une baignoire ne peut contenir la mer. Le principe premier ne devrait-il pas être que chacun puisse s'épanouir en paix dans le pays de ses ancêtres, plutôt que l'illusion d'un Eldorado qui ne trouve le plus souvent pas d'aboutissement -les pays destinataires ne sont plus, comme jadis, des territoires inexploités à mettre en valeur.
Le problème d'exprimer le devoir d'accueil comme un impératif catégorique sans limite est de le rendre utopique et conceptuel, mais inapplicable. Dans le vrai monde, il ne peut être fait abstraction des capacités d'accueil et d'intégration effective. Par ailleurs, il y a déni du droit des peuples à décider de leur politique d'accueil (extension du droit à la souveraineté), et de la prépondérance de leurs valeurs et culture historique.
SupprimerNolats,
SupprimerIl s'agit d'un manifeste poétique, ni plus, ni moins.
La poésie est utopique, ou mieux, a-topique comme une ligne d'horizon ou le point de fuite dans un dessin, qui n'est nulle part mais organise pourtant la mise en perspective de ses éléments visibles.
Au fond, oui, l'acte poétique nous parle de l'impossible (à la fois "de" au sens de son point d'émission, et "de" au sens de ce dont il nous parle). Mais de ce fond d'impossible qui oblige les possibles à se dilater, à s'ouvrir, à ne point se satisfaire d'eux-mêmes.
Pas sûre du tout de te convaincre ! pas grave !
Bonsoir Plumeplume, c'est un manifeste plus politique quee poétique, un "appel de solidarité". Le registre poétique est en quelque sorte enrôlé d'autorité pour une cause à laquelle l'auteur est attaché.
SupprimerLa poésie nous tire vers le haut et nous aide à vivre dans un monde de plus en plus déshumanisé. En même temps elle nous renvoie à notre modeste condition d'habitant de la terre, de simple passager. Personne n'est au-dessus de la mêlée. Le migrant, c'est (ce pourrait être) nous.
RépondreSupprimerBien d'accord avec ce que tu écris, Annick.
RépondreSupprimerMerci.