vendredi 17 février 2017

Essai d'analyse de la novlangue du politiquement incorrect




Un brin d'analyse du vocabulaire de la novlangue

Du politiquement incorrect

(1)


ü     Idéologie



D’abord c’est complètement dingo comme la novlangue du politiquement incorrect use du terme idéologie - et surtout de son dis-qualificatif en –ique - à tout propos. Tu te dois d’oublier fissa toute la littérature autour de la fin des idéologies, de Kojève à Fukuyama, et de la problématique tout de même encore quelque peu intellectuelle autour de la Fin de l’histoire, initiée par Hegel, défendue par Fukuyama et contestée par exemple par Jacques Derrida, particulièrement dans Spectres de Marx. Avec quoi tu viens, c’est de l’élitisme ! Autant dire, fissa aussi, du gauchisme !

Non, non ! Aujourd’hui, tu appelles « idéologie » ou « discours idéologique » tout propos qui ne pense pas comme toi. Car, tu penses évidemment, en toute liberté bien entendu, toi, grâce tout de même aux algorithmes numériques qui te sélectionnent ton Web d’opinion tout personnel.

Je ris mais un peu jaune tout de même. Moi ce serait aujourd’hui Emmanuel Kant que je pleurerais d’abord face à tous ces self-penseurs de la poutre idéologique dans l’œil de l’autre. Oui, d’abord Kant, cet authentique penseur sévère qui a largement contribué à cette merveille de civilisation, Les Lumières, et à laquelle les adeptes de la novlangue du politiquement incorrect aiment se référer en se bombant le torse occidental et laïc.
Kant est le fondateur historique de la phénoménologie contemporaine. Profondément croyant mais surtout sévèrement rigoureux, il aura, dans sa Critique de la raison pure, jeter les bases de la compréhension de notre connaissance même.  Ne pas perdre de vue qu’il était aussi scientifique à part entière.
Même si dans cet essai, ce qui l’occupe c’est le statut des vérités scientifiques (à savoir dans son jargon, les jugements synthétiques a priori), il nous renseigne sur la subjectivité humaine. Dans n’importe quelle connaissance, même scientifique, nous n’avons jamais accès aux faits bruts, aux faits en eux-mêmes (ce que les philosophes grecs appelaient le « noumène », la chose en soi), et ce parce que dans la connaissance, pour le dire simplement, il y a toujours deux choses : l’objet de la connaissance et le sujet de la connaissance. Le sujet de la connaissance, - et c’est ce que démontre Kant dans les trois parties de la Critique de la raison pure -, ne ressemble nullement à la membrane de l’œil qui passivement recevrait les données de l’objet de connaissance, mais qu’il y est actif et qu’il cadre et structure les données de l’expérience en temps, espace et causalité qui sont ses propriétés à lui, en tant que sujet de connaissance. Et, ce que tente de prouver Kant, c’est que de telles propriétés de la connaissance humaine sont à la fois subjectives et a priori, c’est-à-dire nécessaires et universelles.

Pour faire comprendre cette révolution copernicienne de la raison à mes élèves, j’ai chaque fois usé de l’analogie entre des lunettes fumées (subjectivité ordinaire, à savoir contingente et particulière) et la fiction d’yeux fumés (subjectivité de type a priori). Si dans le cas de lunettes de soleil, vous pouvez percevoir l’objet avec ou sans les verres fumés (subjectivité de type a posteriori), dans le cas de la structuration de notre connaissance même, c’est comme si nos yeux mêmes étaient fumés. Impossible de retirer le « fumé » de la vision sans s’arracher les yeux, condition même de possibilité de notre perception même, of course ! Comment serait réellement la chose en elle-même ? Impossibilité absolue d’y répondre car nous devrions de façon absurde être absent de la connaissance qui est toutefois notre fait à nous !

J’ai souvent rêvé d’un dialogue entre Kant et Einstein, entre subjectivité transcendantale (ou pour simplifier une subjectivité de type a priori) et relativité générale. Oui, j’aurais adoré que ces deux grands hommes se fussent rencontrés.

J’ai un long temps fréquenté et participé à un site de scientifiques qui combattaient les néo-créationnistes d’aujourd’hui (particulièrement influents aux USA). Je les ai admirés car sans avoir jamais lu une page de la Critique de la raison pure, leur rigueur intellectuelle rejoignait celle du penseur de Königsberg. Particulièrement au sujet des attaques créationnistes vis-à-vis de la théorie de l’évolution, initiée par Darwin, la contestant malhonnêtement ou par naïveté, en arguant qu’il ne s’agirait jamais que de théorie et non de faits en eux-mêmes. Car oui, du chef de Darwin lui-même et de tous les chercheurs à sa suite, il ne peut s’agir que d’une théorie, à l’instar des astrophysiciens qui parlent juste en nommant le Big Bang, théorie du Big Bang. Et à chaque fois, ces scientifiques honnêtes précisent bien modestement qu’il ne s’agit jamais que d’interprétations de données.



   Vous constaterez que quand il est seulement question de la science la plus exacte, de l’idéologique s’en mêle pourtant illico presto. Du religieux bien sûr. Et de façon puissante, voire guerrière, parce que les sciences ne viennent nulle part conforter la thèse d’un Dieu créateur. N’oublions pas tout de même, à l’heure où l’islam fait très peur, que le mouvement drôlement puissant et multiforme de l’évangélisme américain jouit d’une énorme influence au plus haut niveau de l’Administration américaine, sous l’ère de Bush comme à celle qui s’avance dans celle de Trump.


 Qu’en serait-il donc de l’idéologique dans le monde de l’opinion ? La subjectivité ne peut que jouer bien plus puissamment encore évidemment. Pour parler encore une dernière fois dans la langue simplifiée de Kant, il est tout à fait logique qu’en matière de subjectivité a posteriori – ce qui façonne l’opinion (contingente et particulière), il y ait multiples points de vue. Tous des points de vue strictement idéologiques, si on réfléchit un peu rigoureusement.
Que faire donc à part se tirer direct une balle dans la tempe si toutes les opinions se valent parce qu’elles sont en soi toutes subjectives ? Et pour corser l’affaire, qu’elles se revendiquent toutes de valeurs déclarées universelles ?


   Quand bien même, nous sommes tous et toutes toujours déjà pris dans de l’interprétation de faits, nous pouvons tout de même nous rendre au plus près de la réalité, entre autres et surtout grâce aux méthodes de type scientifique. Au minimum pour passer de l’impression à l’opinion. Pourtant sur les réseaux sociaux, ce qui domine c’est souvent l’impression présentée directement comme le réel, sans même passer par la case discutable de l’opinion.


   Par exemple, qu’en serait-il de la main mise des « gauchistes » à l’antenne de France-Inter ? Il se fait que cette « évidence » a fait l’objet d’une publication particulière à la Une de deux journaux de droite, Valeurs actuelles et Causeur. Et aujourd’hui même sur son blog, Allegra elle-même évoque son impression : « J’écoute beaucoup France culture, et je confirme que cette radio publique n’est pas pluraliste et que la grande majorité des émissions donne la parole aux opinions de gauche présentées comme la norme morale. »

 Mais comment se décider par rapport à une simple impression ? On peut rarement la vérifier soi-même, mais pour lui donner corps ou pas, il faudrait faire une étude approfondie, globale, quantitative, et la plus neutre possible.

   Il se fait que j’ai lu ce matin attentivement l’étude rigoureuse menée par le site
Acrimed sur la base des affirmations d’impression des deux journaux bien marquées à droite Causeur et Valeurs actuelles et qui eux aussi accusent les médias publics de ne donner la parole qu’à des locuteurs de gauche.

 Etude remarquable qu’on peut lire intégralement, - mais évidemment c’est long comme toute rigoureuse confrontation -, et c’est ici : http://www.acrimed.org/Quand-Causeur-et-Valeurs-actuelles-s-essaient-a


   Mais bien sûr, aujourd’hui, la post-vérité a déjà le vent en poupe aux USA. A pas feutrés, elle gagne du terrain en Europe...


à suivre


  


5 commentaires:

  1. Ouille ! Je reviendrai... Plumeplume, c'est trop hard pour moi, en tout cas ce soir.

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  2. Je trouve comme Bruno l'article bien ardu... C'est certainement intentionnel pour dénoncer l'utilisation de termes (tel "idéologique") de manière parfois intempestive. Ceci étant, certains mots ont une existence dans le registre du langage courant qui ne répond pas forcément à une définition rigoureuse du domaine des experts. Mais dans le cas évoqué, effectivement certains intervenants qualifient d'"idéologiques" des positions qui ne sont pas les leurs, comme si leurs propres positions ne relevaient pas elles aussi d'un "système de pensée". Chacun parle généralement depuis "quelque part" en terme de positionnement politique, communautaire, culturel ou autre, sans que cela ne soit pour autant une "idéologie" formelle et établie (islamo-gauchiste, marxisante ou quelque chose comme ça, en l'occurrence).

    L'orientation prépondérante de France Culture est peut-être "bien pensante", c'est à dire universaliste, solidariste, humanitariste, écologiste, multiculturelle etc. Cela n'exclut pour autant pas un certain pluralisme dans les thèmes et débats.

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  3. Merci Nolats d'avoir tout de même lu même si c'est donc apparemment un peu ardu.
    Tu as raison de proposer "système de pensée" pour dire autrement le terme d'idéologie là où il est employé à bon escient. On pourrait - s'il le fallait - lui adjoindre le qualifiant "global" ou "totalitaire", dans la mesure où la fonction d'une idéologie est de justifier une orientation de pensée qui vise à englober l'existence individuelle et collective dans toutes ses dimensions privées et publiques : hier, le fascisme, le nazisme, le communisme (trotskisme ou maoïsme) et aujourd'hui, l'islamisme intégriste et politique. Certains intellectuels y ajouteraient le capitalisme, mais j'hésite. Qu'entend-on par là ? non seulement le capitalisme de l'époque de Marx n'est plus celui d'aujourd'hui, mais il est protéiforme. (Je m'arrête !)

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  4. Je vois que vous me mettez une fois de plus en cause. Trois remarques à formuler :

    1. Acrimed n’est pas connu pour son impartialité, donc pour sa rigueur, et encore moins l’auteur de l’article, Julien Salingue, enseignant à l’université de Saint-Denis et membre du NPA, militant anti-israélien infatigable, pro BDS, qui pense que la critique de certaines pratiques de l'islam relève de la stigmatisation de cette religion qui soutient Tariq Ramadan " "Les critiques sur Tariq Ramadan sont infondées, il n'a pas de double discours. Julien Saligue qui déclare au lendemain du massacre de Charlie Hebdo que si rien ne pouvait justifier l'attaque, certains avaient «dénoncé avec raison l'islamophobie de Charlie Hebdo». http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/12/17/31003-20151217ARTFIG00223-gilles-clavreul-contre-tariq-ramadan-et-les-indigenes-de-la-republique-le-dessous-des-cartes.php

    2. Comparer le contenu de France Culture avec celui de Causeur n’est pas correct. France Culture qui est une radio publique, donc subventionnée entièrement par l’argent public, celui des contribuables, se doit d’être pluraliste, ce qui n’est pas le cas d’un magazine d’opinion comme Causeur, ou Mediapart par exemple.

    3. C'est précisément parce que je n'ai pas fait d'analyse rigoureuse du contenu de France Culture, parce que je n'ai pas l'oreille collée au poste comme dit Nolats, que j'ai utilisé le terme impression, mais je l'écoute assez souvent pour me faire une idée.

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    1. 1. Je me suis appuyée sur l'article et son analyse pointue, c'est tout.
      2. Précision : vous, Allegra, vous partagiez votre impression à propos de France-Culture. L'analyse d'Acrimed à laquelle je me référais à la fin de ma note, visait France-Inter, et elle conteste, à l'appui d'une analyse précise, un article de Causeur qui, un peu comme vous à propos de France-Culture, a prétendu que cette chaîne donnait avant tout la parole à des personnalités de gauche.
      3. Je ne peux rien directement sur vos impressions et les idées que vous vous faites.

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