samedi 22 octobre 2016

Ecrits sur l’aliénation

Et la liberté


Frantz Fanon







Emission de France-Culture


(janvier 2016)






Une émission à écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=dh67P1f3ZHM





10 commentaires:

  1. Je découvre la psychiatrie mise au service du pouvoir colonial... Ainsi les psychiatres de l'Ecole d'Alger (Antoine Porot) ont élaboré une théorie visant à inférioriser le colonisé et à justifier la colonisation. Le travail de Frantz Fanon consistera à chambouler ce discours pseudo-scientifique.

    Mais faut-il s'en étonner ? Le racisme (construction idéologique) a permis (et permet) de justifier bien des crimes.

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  2. Annick,

    Je ne m'attendais pas à des commentaires, mais j'étais sûre que toi, si tu passais par ici, tu écouterais cette émission !

    Oui, c'est intéressant de découvrir le racisme pseudo-scientifique de l'Ecole d'Alger sous la houlette d'Antoine Porot à l'époque coloniale. Exemple révélateur d'essentialisation idéologique.

    Je suis de ceux et de celles qui pensent que nous, tout récents ex pays colonisateurs, n'avons toujours pas fait le travail de remise en cause approfondi du colonialisme, au moins pas comme l'Allemagne l'a mené pour la période la plus effrayante de son histoire. (Je me souviens que du temps où SK tenait encore activement son blog sur l'Obs, il avait fait une remarque pertinente dans ce sens.)
    Comme je suis aussi lue par un blogueur qui a l'habitude de déformer mon propos ailleurs, je m'empresse de préciser que ce que je viens d'écrire ne suppose nullement que je mette du coup sur le même pied de gravité le nazisme responsable d'un génocide et le colonialisme. Non, nullement, ce serait indécent et surtout imbécile, quand bien même le colonialisme est gravement responsable de nombreux crimes et massacres.

    Je regrette infiniment ce manque de travail critique chez nous, en France mais aussi en Belgique, puisque mon petit pays est aussi un ancien pays colonial. Non, ce travail n'est toujours pas fait, il est encore largement empêché, refoulé en fait au sens quasi psychanalytique quand on lit des écrivains comme Pascal Bruckner ou d'autres qui affirment que cela suffit que l'Occident se flagelle. Or il ne s'agit évidemment pas de se flageller mais seulement de se pencher lucidement sur notre récent passé, d'autant que les vivants d'aujourd'hui ne sont pas directement responsables des crimes et des oppressions de leurs ancêtres.
    Mais ce travail est cependant vital aujourd'hui pour les enfants des anciens colonisés.

    Pourquoi nous ne comprenons pas cela ? Ca me pose vraie question.

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    1. Peut-être a-t-on gardé une mentalité coloniale... d'où la difficulté d'un véritable travail critique. « Ils ont enlevé le casque. En dessous leur tête reste coloniale » disait Régis Debray... On peut toujours s'interroger sur nos rapports avec les peuples du sud ( nos interventions ou pas dans les zones en conflit, l'alliance avec le Qatar ou l'Arabie, l''exploitation des richesse africaines par des multinationales au détriment des populations, etc) A débattre.

      Pour l''historien italien Enzo Traverso le nazisme s'inscrit dans la longue durée de l'histoire européenne. Le génocide des Juifs marque à la fois une rupture et une continuité dans cette histoire. La violence nazie est le résultat du racisme (classification des groupes humains) le même qui a permis et accompagné le processus colonial. Il y ajoute l'eugénisme largement pratiqué, l'organisation des sociétés industrielles (« taylorisation » du travail) qui déresponsabilise et l'anticommunisme.

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    2. Je découvre le professeur Bertrand Badi auteur de « Le Temps des Humiliés. Pathologie des relations internationales » et « Nous ne sommes plus seuls au monde ». Je n'ai pas (encore) lu ses livres mais écouté avec intérêt ses conférences transmises sur Internet. Il analyse les structures « oligarchiques » de notre système international et défend une diplomatie de « l'altérité ».
      Je parlais plus haut de mentalité coloniale. Badi n'emploie pas ces termes mais décrit nos relations avec les pays du sud (éventuellement de l'Est) comme des relations de dominant à dominé. Il précise que les décideurs n'ont pas véritablement conscience de cet état de chose ni des effets pervers que cela entraîne. A la sortie du livre « le temps des humiliés » des diplomates du quai d'Orsay ont reconnu cette façon d'agir en avouant ne pas y faire attention comme si cela était 'normal', dans l'ordre des choses (c'est peut-être cet ordre qu'il faut changer). En aucune façon ils n'ont pensé que cela pouvait être humiliant.

      NB. Une reconnaissance bienvenue : la France rend hommage aux Tsiganes internés sous Vichy. Rappelons qu'ils subissent encore de nos jours des discriminations.

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    3. Précisions pour Momo (tu avais vu juste Plume)  et pour ceux que cela intéresse :

      Pour Enzo Traverso (cf. « La violence nazie, une généalogie européenne »), la violence nazie est la synthèse, poussée au paroxysme :

      - du racisme, en particulier l'antisémitisme : une classification hiérarchisée des groupes humains où les races supérieures sont fondées à dominer, voire à éliminer les races inférieures. Une conception qui accompagne tout le processus de développement des empires coloniaux (ah!) au cours des siècles précédents.

      - L'eugénisme : de nombreux pays occidentaux pratiqueront l'élimination des malades mentaux, des handicapés. Le « darwinisme social » (contre l'analyse de Darwin lui-même) justifiera ces assassinats.

      - L'organisation de nos sociétés industrielles et la « taylorisation » (décomposition du travail)qui déresponsabilise.

      l'anticommunisme (oh!) qui fera du patronat allemand et européen l'allié initial du nazisme. Les communistes seront les premiers à peupler les camps de concentration.

      Jean-Louis Vullierme, auteur de « Miroir de l'occident, le nazisme et la civilisation occidentale » tente aussi d'analyser les origines du nazisme. On retrouve les mêmes ingrédients : colonialisme, antisémitisme, russophobie... et Henry Ford ! (maître à pensée d'Hitler). Rappelons que Ford est à l'origine du travail à la chaîne.

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    4. Annick,

      Enzo Traverso est en effet d'abord un historien remarquable de la philosophie juive allemande, du nazisme et de son génocide.
      J'avais déjà lu de lui quelques articles, dont cette interview dans la revue intellectuelle "Vacarme" que je lis régulièrement et consultable en ligne : http://www.vacarme.org/article434.html.

      Il faut bien sûr se donner la peine de lire quelque chose de consistant de ce penseur pour comprendre le bref résumé de ses positions complexes que tu résumes ci-dessus.

      P.S. Mais sur le blog de Clairvaux de l'Obs, le Momo copie-colle ta p'tite synthèse et conclut : "Oui, le colonialisme est ainsi assimilé au nazisme ,ainsi que l’anticommunisme !" (sic) Et il paraît en plus que je tiens un blog d'extrême-gauche ! Tcheu !

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  3. J'ai écouté une interview d'Enzo Traverso : « Pour une historiographie marxiste et critique ». Intéressant. Voici un résumé du passage qui concerne son livre « La violence nazie, une généalogie européenne » :

    Le nazisme est à la fois héritier et aboutissement de l'histoire du colonialisme européen du 19ème siècle. On ne peut comprendre la genèse de la violence nazie si on fait l'impasse sur cette filiation. Elle est évidente si on se réfère à la littérature nazie, aux discours d'Hitler, de Goebbels en passant par les théories de Rosenberg [Alfred], et parfaitement assumée.

    Suite au traité de Versailles l'Allemagne perd ses colonies africaines, le personnel qui revient en Allemagne s'incorpore dans le mouvement nazi, idem pour les nationalistes qui ont combattu dans les pays baltes. Le pangermanisme se nourrit des théories nazies.

    Le vocabulaire nazi reprend des termes qui appartiennent à l'histoire du colonialisme, dont le génocide des Hereros [considéré comme le premier génocide du XXe siècle] , comme la notion d' « espace vital ». C'est une notion qui est au cœur de l'histoire du colonialisme européen. Il y a en Italie toute une littérature sur l'espace vital et la conquête de la Méditerranée.

    Il est frappant de voir à quel point l'immense historiographie qui existe sur le nazisme a pu faire l'impasse sur cette filiation, jusqu'à une époque récente. Ce sont les études post coloniales (1980/90) qui ont posé le problème et obligé l'historiographie à faire face à cela. Pourtant si on prend tous les grands textes concernant l'Holocauste il y a toujours un chapitre sur Madagascar. Le fait que la notion, même métaphorisée, de Madagascar appartienne à une culture coloniale n'avait jamais été creusé jusque dans les années 80/90 *.

    Cette filiation se trouve pourtant dans « les origine du totalitarisme » d'Hannah Arendt. Un ouvrage qui a marqué la théorie politique mais qui a été largement ignoré des historiens. On la retrouve aussi dans les écrits d'Aimé Césaire ou Frantz Fanon qui n'ont jamais été lus, ou en tout cas pas utilisés par les historiens du nazisme. Et donc la généalogie du nazisme c'était l'idéologie völkisch, l'histoire de l'antisémitisme comme si l'antisémitisme, au moment ou se constitue en Europe des nations au sens moderne du terme, était indissociable du colonialisme. Pourtant le lien symbiotique entre antisémitisme et colonialisme a toujours été refoulé.

    * C'est à partir des années 80 que les études sur le post-colonialisme ont commencé à prendre forme (jusque là la guerre d'Algérie était encore un sujet tabou et le rapport entre colonialisme et antisémitisme n'était pas une question débattue)

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  4. Merci Annick pour cette transcription écrite du propos oral de Traverso. J'admire ta capacité à prendre si rapidement note au vol.

    Ce que Traverso avance dans ce passage me paraît pertinent et important pour la compréhension de la page la plus sombre de l'Allemagne et de l'Europe.

    Ce n'est pas choquant en soi, selon moi, qu'il ait fallu attendre les années 80/90 pour repérer et commencer à analyser le lien entre nazisme et colonialisme car il y a eu, et il y a encore aussi, mécanisme de refoulement et forme de trauma en Europe à ce sujet. Il a fallu au moins 20 à 30 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que la conscience européenne commence enfin à prendre conscience d'une tragédie dans la tragédie générale, celle de la Shoah.

    Mais Annick, ce propos n'est pas audible sur les réseaux sociaux car il suppose qu'on lise autre chose que de simples commentaires presque toujours seulement réactifs, ainsi que des penseurs autres que médiatisés...

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  5. Bonjour Plumeplume et Annick. Vous êtes l'une comme l'autre très sensibilisées sur le point de vue tiers mondiste, ce qui sous-tend une requête d'"examen de conscience" de l'occident sur son passé colonial. Il y a eu en effet des crimes commis dans ce cadre (par exemple les massacres lors de la conquête de l'Algérie ("enfumades"...), occultés à notre mémoire collective-. En ce sens, il y a en effet des compléments à apporter à l'enseignement de l'Histoire (lequel, ne présente en tout cas plus la colonisation comme une "mission civilisatrice" comme c'était le cas à l'époque de nos parents).
    Par contre, ce n'est certainement pas le moment de relancer dans le pays des débats susceptibles d'augmenter les rancoeurs et divisions dans notre société désormais plurielle, et d'où fusent déjà des exigences communautaires de contrition.
    Certes, il existe certes un courant d'opinion qui continue à véhiculer le mythe de l'apport globalement positif de la colonisation, mais ce sentiment est minoritaire. La majorité de l'opinion considère que c'était des pratiques anciennes ayant été globalement préjudiciables, que la page est tournée, et que les problèmes de la période qui a suivi ne sauraient être éternellement portés collectivement à notre débit.

    Il se trouve que notre pays a accueilli postérieurement à la décolonisation un très grand nombre de personnes issues des continents autrefois colonisés (en nombre considérablement supérieur à leur proportion en métropole à l'époque coloniale). Les difficultés d'intégration liées à la crise économique et au gap de culture (plus fort que dans le cadre de migrations de proximité) créent des ressentiments de part et d'autre. La population native, déjà bousculée dans ses usages et traditions, rejettera tout ce qui tend à la culpabilisation et des notions telles que dette historique ou autre, et demande *au contraire* de revaloriser les aspects positifs du "récit national" (récit, pas roman), en tant que facteur de cohésion, plutôt que la "repentance" (lois mémorielles, déclaration de culpabilité historique, etc.). Sinon le repli identitaire s'accentuera, on voit ce qu'il en est pour la présidentielle US en terme de vote ethnique, et cela se profile déjà que trop chez nous.

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    1. J'ai écrit hier "ce n'est certainement pas le moment de relancer dans le pays des débats susceptibles d'augmenter les rancœurs et divisions dans notre société désormais plurielle...", je n'avais pourtant pas alors l'intuition de la victoire surprise de Trump qui illustre totalement ce propos, une contre-révolution silencieuse se produit dans les urnes, du fait d'un sentiment populaire de devoir rendre des comptes et laisser la préséance au reste du monde. On a vu que tout peut désormais être possible lors d'une finale présidentielle, j'ai été frappé par les déclarations d'un supporter franco-étasunien de Trump: "nous ne voulons pas que les USA deviennent ce qu'est devenu l'Europe".

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