jeudi 4 février 2016

Une lecture lente d'une étude de Scott Atran


Lecture lente et commentée d’un article
De Scott Atran


L’Etat islamique est une révolution (1)







   Scott Atran est un anthropologue franco-américain et spécialiste du terrorisme. Il est directeur de recherche au CNRS et enseigne à la fois à l’université d’Oxford et à celle du Michigan. Son long article fut publié d’abord par la revue américaine Aeon et ensuite, en traduction française, dans l’Obs en ligne, le 2 février 2016.

Scott Atran introduit son étude par une citation, forte, puissante de Robespierre et dont la logique implacable peut fasciner autant que donner froid dans le dos. Le ton de l’article est ainsi tout de suite donné : révolution et violence, en même temps qu’il nous ramène à la terreur de certaines heures de la Révolution Française chez nous. Je la cite tant elle me semble symptomatique de l’effroyable efficience d’une justification rationaliste de la violence au nom d’une révolution politique et de son ordre moral nouveau et radical :

« La vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émancipation de la vertu. »


 Sous le titre Le paradis à l’ombre des sabres, reprenant ainsi un hadith tiré d’un recueil considéré comme le plus authentique après le Coran, Atran dresse le portrait de l’Etat islamique sunnite (EI). De son incroyable progression territoriale et d’adeptes en deux ans à peine. Soutenu par une armée de volontaires, la plus grande et la plus diverse depuis la seconde guerre mondiale. Cette brève citation est devenue le slogan populaire des combattants d’EI, et qui correspond parfaitement au plan djihadiste totalitaire et mondial de leur calife autoproclamé, Abou Bakr al-Baghdadi.

 Scott Atran a mené plusieurs enquêtes auprès de jeunes des milieux défavorisés et considérés comme pourvoyeurs de djihadistes potentiels, autant dans plusieurs banlieues parisiennes que dans celles de villes du Maroc. Et Atran est formel : On se trompe complètement ici en Europe en les considérant comme nihilistes (sans doute par une projection de ce qui nous concerne, nous. C’est moi qui commente.) Non, ce que l’anthropologue et son équipe tirent comme conclusion, est beaucoup plus inquiétant : EI constitue pour d’innombrables jeunes en désœuvrement chez nous un véritable projet, extrêmement séduisant, qui donne enfin sens à leur existence, en même temps qu’il le redonnerait au monde à sauver en le changeant radicalement.


   Mon commentaire : A cause de l’horreur de la violence barbare en Syrie (décapitations) et sophistiquée à l’arme de guerre à Toulouse, Bruxelles, en Suède, et surtout à Paris par deux fois, on risque de ne pas vouloir voir et surtout saisir combien EI aimante cette jeunesse en mal d’idéal en terre européenne. Je sais, c’est extrêmement choquant pour nous d’user du mot « idéal », et pourtant, si l’on entend combattre telle gangrène, on se doit de la comprendre de l’intérieur. Et c’est pourquoi je prends le temps de lire très attentivement l’étude remarquable de Scott Atran.

 Et malgré des différences intrinsèques, - et que je sais fondamentales -, il nous faut tout de même risquer un parallèle entre tous ces adolescents d’hier qui se sont fait enrôler et sont morts à Verdun par exemple dans la Première Guerre Mondiale, surtout, tous ces jeunes, animés par l’idéal socialiste, qui ont rejoint les Brigades Internationales dans la guerre d’Espagne contre Franco, avec ceux qui aujourd’hui partent pour rejoindre les troupes de l’Etat islamique. Je sais, je sais, - et je l’ai écrit -, il y a phénoménales différences, mais en tout cas pas du point de vue de cet âge critique de la jeunesse qui aujourd’hui comme hier ou avant-hier a vitalement besoin de trouver du sens à donner à son existence en même temps qu’au monde. Age aussi essentiel qu’à hauts risques.

 Je n’oublie pas perso, qu’un jour, précisément à la fin de mon adolescence, j’ai pu enfin entendre la question tendre et critique de mon cher papa, et qui me demandait avec humour mais sans mépris, alors que je commençais à lire Marx dans la passion où je voulais changer le monde, comment cela se faisait que depuis la haute civilisation égyptienne, et parmi les plus justes, personne n’avait jamais trouvé the régime qui incarnât le Bien absolu.
Non, je n’oublie pas. Pas non plus qu’à l’adolescence, tout homme rêve d’absolu.

   Je compte poursuivre la lecture de cette étude de Scott Atran sous ce tempo lent, en proposant mes propres réflexions au plus près de l’article.

  Et ce que d’autres me suivront ? Je n’en sais rien mais l’espère un peu.



7 commentaires:

  1. Bonjour Plume,

    Le phénomène dont il est parlé ici n'est pas nouveau. Je me souviens avoir lu chez Duby qu'un des motifs des croisades était d'éloigner de nos terres une violence qui portait peu à la spiritualité. Voir aussi le film de Tavernier : Conan. On l'a constaté aussi lors des guerres d'indépendance. Que dire des conquêtes liées à la colonisation ?

    On connaît le piège quand on avance ce genre de propos : commencer à expliquer, c'est commencer à justifier. En quoi constater un fait est-il une justification ?

    Un des problèmes d'aujourd'hui est qu'on ne semble plus prendre les pulsions de violence comme une donnée de départ (dans toute société) mais comme une donnée conjoncturelle qui s'éloignera au prix de quelques lois supplémentaires ou au prix de l'usage de la violence elle-même.


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    1. Merci Benoît d'être venu sur mon nouveau blog.

      D'accord avec toi. Il faudrait aussi relire Giorgio Agamben sur "l'Etat d'exception" par les temps qui courent...

      Je n'ai pas eu le temps hier d'aller bien loin dans la lecture commentée de l'article de Scott Atran. Je le ferai bientôt.

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    2. Se poser aussi des questions sur le problème de la "fascination" (Quignard en parle très bien).
      Dans ce cas-ci la question étant de pas répondre à une "fascination" par une adverse "fascination".

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  2. Tenter de comprendre n'est pas bien sûr un partage idéologique ni une une justification.
    Bonjour "PP"
    J'attends avec impatience ta note sur le parallèle entre L'état Islamique et le Nazisme...
    Très intéressant sujet, j'ai aussi eu quelques lectures à ce propos.
    Occasion pour moi avec ce commentaire de te saluer (il y avait bien longtemps!)
    Max
    Bises BRRRRRRRR

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  3. Salutaire mise en ligne qui, une fois de plus, rappelle que nos explications assez manichéennes ne suffisent pas à la compréhension de ce qui se passe aux proche et moyen-orient. C'est le seul point que je rendrai à Samuel Huntington dont la thèse est également, mais dans l'autre sens, par trop manichéenne. J'aimerais que l'ami Leperse vienne te lire et commenter.

    Quant à "expliquer" qui serait un début de "justification", il est de fait que selon la maîtrise que l'on a de notre expression écrite (ou orale pour les tribuns parlementaires), on peut donner cette impression. Toutefois, en France la façon qu'a eue Valls de couper la parole à ses opposants "internes", à commencer par Christiane Taubira, sur ce seul argument (le shut up ! des Anglo-Saxons, le klappe ! germanique) est détestable, d'autant qu'elle distille le soupçon sur toute tentative d'explication, quelle qu'elle soit...

    J'apprécie les interventions de Benoît (que je salue...s'il vient relire).

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  4. Bonjour Plumeplume, et aux autres intervenants.
    Tout mouvement religieux ou idéologique (au sens courant) attire des mystiques, des aventuriers, et des opportunistes. Mais c'est toujours l'aspect mystique qui est mis en avant pour justifier l'action. J'ai quelque peine à penser qu'Abaoud, Mehra ou Kouachi étaient mystiques. Mais par contre la propagande jihadiste et les recruteurs-manipulateurs jouent effectivement de la vulnérabilité et des idéaux de leurs proies pour leur faire miroiter un projet exaltant: libérer un peuple d'un tyran -le parallèle avec les Brigades Internationales-, mettre en place le régime de la vertu -le lien avec la Terreur, on peut aussi évoquer les Brigades Rouges-, ou encore jouer de la confusion avec une action humanitaire.
    Toutefois, si ce discours pouvait passer dans les tout premiers temps, la réalité des atrocités jihadistes ne peut plus être ignoré de quiconque, l'adhésion à une barbarie aussi manifeste ne peut pas être subreptice. Or loin de décroître, le recrutement se répand.

    PS: le parallèle avec Verdun ne me parait pas applicable, s'agissant alors de la défense du territoire national contre une armée.

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