lundi 15 février 2016

Lecture (plus synthétique) de l'article de Scott Atran

Lecture d’un article
De Scott Atran


L’Etat islamique est une révolution (5)



   Je vais tout de même accélérer le tempo de ma lecture commentée de l’article de Scott Atran ici, sans quoi, je ne l’aurai pas terminée à Pâques (voire à la Trinité) ! D’autant plus que dans les jours à venir, je n’aurai que peu de temps à consacrer à mon blog.

 Mon propos se fera donc nettement plus synthétique mais veillant à demeurer au plus près du texte et particulièrement de l’intention clairement exprimée de son auteur, car c’est précisément sur elle que j’ai lu le plus de contresens.

 On peut se méprendre en effet sur le terme de révolution que l’anthropologue choisit pour rendre compte longuement de la réalité de l’Etat islamique vécue comme telle par ses leaders, ses combattants et ses admirateurs. Ou, plus exactement, de prêter immédiatement à son signataire (et à celle qui le commente ici) l’intention de vouloir donner une acception (et appréciation morale) positive à ce terme en ce qui concerne Daesh. Et on se méprend d’autant plus que, précisément, en tant qu’anthropologue, Scott Atran décrit les caractéristiques de Daesh en ce qu’elles les partagent avec d’autres mouvements de type révolutionnaire, qu’ils soient considérés comme un bien (une rose) ou comme un mal absolu (un national-socialisme).

 On se méprend surtout sur l’intention directrice de cet article. L’ayant relu bien lentement ce matin même, je peux l’interpréter ainsi : A force de seulement diaboliser l’Etat islamique au lieu de l’analyser, - et jusqu’à refuser de le nommer comme tel -, on le caricature et surtout on le simplifie ; et paradoxalement, on risque alors de minimiser sa puissance d’efficacité fédératrice ainsi que sa possible persistance dans la durée.

   Ce pourquoi Scott Atran prend-t-il tant de temps en sous-chapitres pour montrer la puissance révolutionnaire même de l’Etat islamique. Ainsi, le pouvoir d’une cause transcendante comme Dieu et le pseudo salut de toute l’humanité ; celui du combat mené au nom de valeurs sacrées ; celui de la gloire, de la camaraderie entre pairs et de la fusion de l’identité individuelle dans le groupe, qui galvanisent tant de jeunes et rendent la mort en martyr si fascinante ; celui de la revanche contre l’ancien ordre colonial ; celui en conséquence du mythe très fédérateur du califat (arabe) contre la démocratie libérale (occidentale) ; celui d’une organisation très structurée dès le départ, en différence d’autres mouvements terroristes, comme hier le mouvement anarchiste terroriste d’origine russe[1] qui a sévi un temps en Occident, ou aujourd’hui Al-Qaïda au Moyen-Orient, etc.


   Comme indiqué dans une note antérieure, Scott Atran compare aussi Daesh au nazisme, en anthropologue bien évidemment, à savoir du point de vue de sa capacité à regrouper les masses. Et comme dans ce long article, ce n’est pas le centre de son sujet, il renvoie à une autre étude où il l’aborde plus longuement. Toutefois, très rapidement dans l’article dont il est question ici, Atran porte mêmement en évidence cette compréhension (diabolique) qu’Adolf Hitler avait de la dynamique des masses. Atran cite un propos de l’écrivain George Orwell[2], et je cite ce passage, quant à moi, en entier :

« Hitler sait que les êtres humains ne veulent pas seulement le confort, la sécurité, les heures de travail de courte durée, l'hygiène, le contrôle des naissances et, dans le bon sens commun. Ils ont également, au moins par intermittence, l'envie de lutte et de sacrifice de soi, pour ne pas mentionner les tambours, drapeaux et défilés. Peu importe comment sont leurs théories économiques, le fascisme et le nazisme sont plus sonores psychologiquement que toute conception hédoniste de la vie. »


    Oui, l’Etat islamique comme le fascisme et le nazisme sont plus sonores et plus efficaces que toute conception hédoniste de la vie.

 Et c’est à cela ce que, dans son article, Scott Atran tente de porter notre attention et aussi, je suppose, celle de nos dirigeants, faisant donc le choix de préférer un article publié dans un grand quotidien qu’une étude académique dans une revue de spécialistes.


   Synthétisant ainsi, je pense pouvoir en terminer la lecture en une unique et dernière note prochaine.

  Sans inutile guéguerre de type infantile, il n’empêche que je n’en reviens pas de la pseudo synthèse, - et de ses purs contresens -, de l’article de Scott Atran à laquelle prétend une blogueuse de l’Obs[3]. C’est sans doute, à première vue, plus dommage que dommageable, dans la mesure où, particulièrement sur l'Obs, la blogosphère n'est plus du tout la priorité du Journal. Il n'empêche, que celle-ci doit refléter une part importante de l'opinion publique. Et si des gens pouvant manier aussi facilement et avec art la plume et le pinceau, se trompent aussi grossièrement sur le sens et l'intention d'un auteur, eh bien, il y a de quoi être très pessimiste sur la capacité de la doxa tout court à pouvoir et vouloir encore comprendre ce qui se passe et ce qui se joue en réalité. Et donc de pouvoir encore, en meilleur connaissance de cause, questionner le pouvoir en place sur le bien-fondé des mesures spectaculaires qu'il prend (comme la déchéance de nationalité), et a contrario, du peu de moyens financiers qu'il octroie aux associations qui se battent sur le terrain, et sans médiatisation, contre la radicalisation des jeunes en milieu défavorisé.

  
[1]  A ne pas confondre avec le courant anarcho-syndicaliste (dont une des célèbres figures fut Rosa Luxemburg) et qui, s’il a été opprimé dans le sang, ne fut pas un mouvement terroriste.
[2]  On peut lire l’entièreté de l’article de George Orwell en anglais ici : http://worldview.carnegiecouncil.org/archive/worldview/1975/07/2555.html/_res/id=sa_File1/v18_i007-008_a010.pdf
[3] http://savoirvivredelouximer.blogs.nouvelobs.com/archive/2016/02/07/l-ordre-nouveau-578882.html

4 commentaires:

  1. Bonjour Plumeplume. Ces articles montrent la nécessite, pour lutter contre le jihadisme, de le placer dans une perspective historique et universelle, car même si l'Etat Islamique était abattu un autre mouvement surgirait, et même si l'islam de France était encadré et structuré (Copé parle de concordat), le radicalisme se poursuivrait dans la dissidence.
    L'aspect "révolution" parait bien être la caractéristique dominante: révolte, combat, et objectif idéalisé. L'"ennemi de classe" est remplacé par l'"ennemi de civilisation (ex colonialiste, impérialiste, exploiteur des minorités...). l"ordre nouveau" est la restauration d'un empire mythique pur et dur. La religion est utilisée comme support idéologique, réduite à des notions sommaires (d'où la forte proportion de néophytes qui passent directement à la case "radicaux").
    Il me semble qu'à partir de ces études, une contre offensive idéologique devrait être engagée, en démontant chaque caractéristique: par exemple, l'aspect mafieux (pas pur), atrocités criminelles (antinomiques avec l'idéal visé), contradiction religieuse (damnation des criminels). Mais il faut aussi (surtout) une "offre" alternative en terme d'idéaux et de perspectives.

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    1. Nolats, merci d'être entré effectivement dans la compréhension de l'article de Scott Atran. S'il a tenu à décrire l'Etat islamique comme une réelle révolution, - et qui donc aimante en particulier une jeunesse en mal de cause glorieuse, d'idéal transcendant et de sens à arracher à sa condition -, c'est bien pour alerter et surtout questionner les pouvoirs en place en Occident sur la possible déficience de leur stratégie de campagnes nationales contre le radicalisme islamiste auprès de leur jeunesse. Et comme tu l'écris, il ne suffira pas de démontrer les atrocités criminelles, les dévouements religieux ainsi que le caractère essentiellement maffieux de Daesh, mais il faudrait surtout – et c’est là le hic – proposer effectivement des alternatives ambitieuses d’idéal, de causes exaltantes mais justes, de sens à pouvoir donner à leur existence aux portes de la vie adulte, à tous ces jeunes issus de l'immigration. Or, c’est là que le bât blesse le plus, il me semble, pour eux, tout autant dans les pays arabes que chez nous. C’est très fort comme si leur horizon se résumait en « no futur » sur le plan économique d’abord et socioculturel ensuite. Et c’est toujours gravissime pour toute société quand sa jeunesse ne peut plus utiliser sa force vitale instinctive et bouillonnante pour se construire un avenir possible (dont la procréation est loin de constituer un détail).
      Je suis par exemple catastrophée de la situation sans issue de tant et tant de jeunes tunisiens hyper diplômés, et qui, particulièrement depuis les récents attentats terroristes qui ont mis à terre l’économie avant tout touristique de leur pays, savent qu’ils n’auront aucun avenir en Tunisie, mais qui savent tout aussi bien que les portes de l’Europe se ferment de plus en plus drastiquement à une émigration économique. Certains d’entre eux finissent par succomber au « charme » de Daesh, car, il faut savoir cela aussi, leurs compétences acquises y seront mises à profit.

      Et ceux-là seront enrôlés dans les cadres supérieurs à « col blanc » de l’organisation révolutionnaire. Quant à la chair à canon, - celle qui est vouée à tuer de façon barbare en Syrie, à la kalachnikov en Europe et en bombe martyre un peu partout sur la planète, ce seront toujours les moins instruits, les plus coutumiers de l’échec scolaire. Ce pourquoi, quant à moi, je mets toujours d’abord l’accent sur le travail à faire en priorité sur la jeunesse paumée des banlieues de nos villes. Car hier comme aujourd’hui et demain, les « cols blancs » de n’importe quelle dictature ne seront jamais rien sans cette « chair à canon », sans ces prolétaires qui font la guerre effectivement ou mènent les actions terroristes en sacrifiant leur vie.

      Il faudrait une sorte de Karl Marx islamique ! Un intellectuel musulman qui traduise crûment le djihadisme actuel, guerrier et meurtrier, en termes de luttes des classes ! J’écris ça un peu pour rire, mais pas tout à fait tout de même. Car si la conscience de l’inégalité sociale s’aiguisait au sein même d’un mouvement pseudo révolutionnaire comme Daesh, et avec elle, celle de la même implacable logique omniprésente et omnipotente depuis des temps immémoriaux et partout ailleurs, et qui veut que ceux qui paient le prix le plus fort, celle de leur vie même, n’ont jamais la même valeur que celle de leurs cadres dirigeants, eh bien, islam ou pas, la révolte gronderait plus vite, plus efficacement.

      Je stoppe ici, mais pense sincèrement qu’il y a de quoi, dans mon commentaire, faire l’objet d’une véritable note à part entière.

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    2. Bonjour Plumeplume. Les "classes" ne relèvent d'aucune nation, culture ou ethnie, dès lors qu'une révolte est basée sur l'une de ces caractéristiques, elle prend inévitablement un caractère clanique (au sens large), c'est le cas par exemple des "indigènes de la république" bien que sans rapport avec le jihadisme. Un mouvement révolutionnaire sur le plan strictement social ne peut être que a-culturel, a-ethnique, a-religieux.

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    3. Nolats,

      Tu as évidemment raison et ma remarque était plutôt ironique, voire cynique...

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