Lecture lente et commentée d’un article
De Scott Atran
L’Etat
islamique est une révolution (4)
Ce n’est hélas pas simple pour moi de poursuivre
comme si de rien n’était la simple lecture de l’article de Scott Atran. Il me
faut faire abstraction de ces lectures empressées et erronées qui non seulement
ont déjà caricaturé le propos de l’anthropologue mais ont diabolisé le mien. D’autant
plus que sur certains points, je ne souscris pas à tout ce que Scott Atran
avance dans cet article, particulièrement dans des passages où transparaissent
ses propres prises de position citoyenne. Ce pourquoi, c’est sans doute la
dénomination d’article et non d’étude qui ici convient le mieux. Et c’est
ce qu’il est dans le chef même de son auteur qui le publie d’abord en langue
anglaise dans la revue en ligne Aeon et en traduction française dans
l’Obs.
Mais,
comme suggéré dans ma note intermédiaire, le hic doit sans doute venir du fait
que beaucoup se sentent en état de guerre, et que du coup, n’importe quelle
analyse du phénomène de Daesh, - et par définition, une analyse se doit de
suspendre tout jugement moral, du moins dans son travail intellectuel – est hélas
et fiévreusement déjà interprété comme un acte de haute trahison et de
collaboration avec l’ennemi.
Ceci étant dit, je poursuis.
C’est bien en anthropologue que Scott Atran
publie son article. Tout anthropologue tente d’inscrire son analyse d’un
phénomène vécu par un groupe d’humains dans l’une des différentes dynamiques déjà
étudiées dans sa discipline par quelques savants remarquables, et qui étudie,
quant à elle, comment se fédèrent des humains en ethnies, en nations, ou (et) sous
la bannière d’une cause transcendante (religieuse ou laïque).
Pour
Atran, la révolution de l’Etat Islamique n’échappe pas à cette logique primaire
de l’espèce humaine, et qui à la différence des autres vivants, est comme d’autres
dans l’histoire universelle, auto-prédatrice. Ce qui peut choquer
dans son propos, c’est précisément qu’il n’en fait pas une exception absolue,
qu’il ne l’identifie pas d’office à une ethnie ni à une religion précise, du
moins en tant qu’anthropologue en acte. Pourtant aujourd’hui en Europe, nous
devrions savoir que « le plus jamais ça » tant proclamé après l’horreur
de la Seconde Guerre Mondiale qui a fait un peu plus de 60 millions de morts,
dont presque 6 millions par génocide, n’était qu’un vœu incantatoire et qu’il n’a
strictement pas pu servir de leçon depuis
lors…
Scott Atran précise donc que dans l’histoire plurielle de l’humanité,
depuis ce que, avec Karl Jaspers, philosophe allemand du 20e siècle,
il appelle la période axiale, des communautés
d’humains à grande échelle se sont regroupées sous les auspices de divinités
puissantes, qui ont puni sans pitié ceux qui transgressaient la morale – s’assurant
ainsi de la docilité de tous, même les étrangers, dans des empires
multiethniques, chacun devant travailler et se battre comme un seul homme.
Il n’est pas interdit de penser que l’idée même
de nation en soit une sorte d’aboutissement (commentaire personnel).
A l’appui du Léviathan de Thomas
Hobbes (1651), Scott Atran reprend l’expression forte de privilège de l’absurdité,
ce privilège, ou plus exactement, cette terrible conscience humaine de se
savoir programmée pour mourir ; et qui, selon eux, pousse l’espèce humaine
à mettre la plus grande énergie – en bien comme en mal -, pour donner du sens à
l’existence humaine. Et, poursuit Atran, seuls les vivants humains, dans leur
conscience unique de se savoir mortels, les poussent à contrer l’absurde de
cette « tragédie de la cognition ». Pour le meilleur comme pour le pire.
Et à l’appui de Charles Darwin dans son étude La
filiation de l’homme (1871), Atran souligne que les groupes de vivants
humains qui ont le plus de change de durer par rapport à d’autres, sont ceux
qui cultivent une sorte de moralité (patriotisme,
fidélité, obéissance, courage, compassion). Bref, qu’elles soient religieuses
ou laïques, il faut que les valeurs d’un regroupement d’humains soient
considérées comme sacrées par l’ensemble
de cette communauté pour que la cause de n’importe quel groupe ait la chance d’aboutir.
J’extrapole un peu sur l’article de l’anthropologue
pour achever ma note du jour. Plus loin, Scott Atran, montre que dans sa lutte
pour l’indépendance contre la Métropole britannique, le jeune peuple américain
a eu besoin d’autre chose que des mots de Thomas Jefferson (signataire de la
déclaration d’Indépendance), quand l’armée de la Grande-Bretagne a envoyé une
force navale supérieure en nombre aux habitants que comptait New York à l’époque.
Tout semblait même perdu devant un tel déploiement de force, et beaucoup de
combattants commençaient à déserter la cause. Puis vint le discours mémorable
de George Washington et qui mit l’armée en
fusion, dans l’hiver rude de Valley Forge, précisément par ce qu’il en
appelait à la valeur sacrée de
liberté.
Deux p’tits commentaires personnels pas drôles du tout pour clôturer ce billet :
1 - Hélas, tout le monde le sait, le sacré d’ici
n’est pas le sacré de là-bas (cf. ce qu’écrivait déjà le sage Montaigne sur de
simples us et coutumes en amont ou en aval de la région de Bordeaux), et hier
comme aujourd’hui au lieu de fédérer toute l’espèce humaine, il galvanise des
troupes armées plutôt que de générer des congrès de sages de toute la planète pour une
paix mondiale et le sauvetage (il n'est même plus temps de parler de salut) à moyen terme de l'espèce humaine sur notre p'tite planète.
2 - Il faudra sans doute, hélas, attendre, des
cataclysmes d’un nouveau genre (à savoir ceux dus au réchauffement climatique et à surpopulation mondiale)
pour que les vivants humains mettent enfin une sourdine à leurs obsessions
religieuses et idéologiques.
Et au fond, ce sera même pas sûr…
J'ai été voir le film "Demain" ce dimanche. Il s'en ressent quelque chose dans mes deux remarques en bas de ma note.
RépondreSupprimerBonjour Plumeplume. Concernant la remarque 2), on peut craindre qu'en cas de cataclysme climatique, la "compétition pour la survie" soit au contraire exacerbée.
RépondreSupprimerEn fait, l'humanité continue de "croitre et multiplier" en terme démographique, économique, d'urbanisme, de pollution, etc. 7 milliards d'humains rêvent de l'"american way of life" qui nécessiterait quatre fois le totalité des ressources de la planète.
La seule option "sage" (évoquée dans ta remarque 1) aurait été une décroissance programmée en commençant par la démographie (avec la gestion de la transition de classes d'âges), mais désormais la politique a abdiqué devant l'économie dérégulée, le monde est un attelage emballé, sans cocher.