lundi 8 février 2016


Lecture lente et commentée d’un article
De Scott Atran


L’Etat islamique est une révolution (3)

Note intermédiaire




   Je commence par une réflexion personnelle avant de poursuivre. Sur une certaine atmosphère très particulière qui risque d’asphyxier toute tentative de pensée sans passion. Cette atmosphère, c’est celle de la guerre. S’il y a bien guerre contre Daesh en Syrie (quoiqu’elle ne soit pas clairement la priorité absolue de toutes les armées de l’air qui interviennent dans son ciel), elle ne l’est pas (encore) en France ou en Belgique. Si elle l’était, elle devrait porter le qualificatif de civil ; guerre civile.
Pourtant, beaucoup raisonnent, ou résonnent plus exactement, déjà dans cette atmosphère tout à fait exceptionnelle (entendre aussi l’état d’exception sous ce déterminant). Il faudrait avoir à l’esprit le type de littérature qui abonde en temps de guerre et qui ne souffre aucune exception, sinon celle du traître à sa patrie, et qui unanimement ne décrit plus l’autre que comme l’ennemi à abattre. Ce dernier ne se doit donc plus qu’avoir cette seule et unique figure, celle de l’ennemi. Et en effet, comment mobiliser autrement, en temps de guerre effective, la chair à canon de toute armée, sans cette caricature, sans cette haineuse galvanisation ? Car si ces autres, qui cependant nous menacent,  conservent un visage, un visage humain au sens lévinasien,  eh bien, les simples ploucs risquent de ne plus vouloir tuer, ne plus avoir le courage de tuer et risquent de glisser dans la culpabilité, la désertion ou la maladie mentale. Et si je puis dire, en temps de guerre, la pensée manichéenne s’avère quasi vitale pour la bonne santé mentale de tout le monde.

   Ce pourquoi donc il faut aussi tout faire, quand faire ce peut encore, pour ne point rentrer tête baissée dans cette logique infernale. Et il me semble que l’étude que propose Scott Atran participe de cette volonté de nous faire comprendre pourquoi selon certaines enquêtes, un jeune français sur quatre, et malgré ses horreurs bien connues, est encore tenté de rejoindre les combattants de l’Etat islamique.

   Je sais bien ce qu’il m’en coûte à moi-même (et m’en coûtera dans la suite de mes billets) de vouloir rendre compte et poursuivre l’analyse de Scott Atran. Car son propos d’anthropologue est déjà devenu inaudible, insupportable dans l’atmosphère actuelle et au regard des plus de cent assassinés à Paris en novembre dernier. Et vouloir seulement comprendre d’où parlent ces autres qui fascinent une certaine jeunesse européenne malgré leurs crimes abjects, en tentant d’en saisir l’une ou l’autre causes, je le sais, sera quasi automatiquement mal interprété. Mais je relativise, je ne risque pas grand-chose, sauf à être encore un peu plus anathématisée à coup de caricatures. Mais heureusement, comme le dit l’adage, le ridicule ne tue pas !

  

   Ce qui hélas paraît déjà proprement insupportable dans le propos de l’anthropologue Scott Atran, c’est comment il inscrit un mouvement de type révolutionnaire comme EI (mais le nazisme par exemple se présentait bel et bien, lui aussi, en tant que révolution, imposant par la force « un ordre nouveau »), dans l’histoire universelle des mouvements qui ont beaucoup tué au nom d’un idéal, et plus exactement au nom d’un idéal sacrificiel.

   C’est ce que je tenterai de résumer dans une prochaine note.



   Ici, j’ai tout mon temps.

6 commentaires:

  1. J'ajoute à cette brève note que l'idéologie de l'Etat islamique, et qui relève d'un régime totalitaire et terroriste, est une idéologie de guerre à l'état pur, et qu'en conséquence, le peu que j'en dis ci-dessus s'applique bien évidemment et parfaitement à lui.

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  2. "..dans l’histoire universelle des mouvements qui ont beaucoup tué au nom d’un idéal [ ] sacrificiel"
    Un aspect cependant est à prendre en considération: on pourrait dire que la barbarie était presque inhérente dans les périodes d'obscurantisme généralisé; ce qui frappe c'est celle commise à notre époque où tout le monde est éduqué et où les principes des Droits Humains sont universellement proclamés. Le rapprochement avec le nazisme est, sur ce point, le plus applicable.

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  3. Nolats,

    Il faudrait sans doute questionner les termes un peu trop flous ou généralistes de "barbarie" et d'"obscurantisme" ; se demander aussi si c'est si vrai que ça que tout le monde aujourd'hui reconnaît la proclamation des Droits Humains (je songe au poids ancillaire de certaines coutumes culturelles et cultuelles antinomiques par rapport à cette "proclamation universelle", comme l'excision ou l'inégalité homme-femme dans de très nombreux pays) ; et pardon, se demander aussi ce que l'on entend par "être éduqué".

    N'empêche, j'ai envie d'approuver ton rapprochement avec le nazisme, même si nous savons que cela ne peut être qu'une analogie ; le terreau ayant donné la monstruosité du National-socialisme n'étant pas le même que celui qui donne aujourd'hui cette autre monstruosité au Moyen-Orient et dans une autre culture.

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    1. Plumeplume, c'est évidemment "à gros traits" que l'on peut parler de période obscurantiste vs éclairée ou barbare vs civilisée, mais on peut considérer les "standards" des époques considérées, les valeurs et usages de référence. Bien évidemment les valeurs universellement affichées ne sont pas universellement pratiquées, mais elles tirent vers le haut ou vers le bas. D'une manière générale, le pourcentage de population ayant reçu une éducation est plus forte actuellement qu'aux époques anciennes, et a un large accès aux informations. Mais il est vrai que certaines régions connaissent une régression par un retour à des pratiques anciennes qui semblaient devoir se résorber.

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  4. Je pense que la mauvaise interprétation des thèses de Scott Atran ne peut qu'être engendrée par ce que vos propos donnent à comprendre en filigranes : votre adhésion à l'idée que la révolution islamiste est la solution légitime aux besoins de cette "jeunesse bouillonnante" et votre empathie à l'égard de cette même jeunesse qui n'aurait pas d'autre alternative que de se lancer dans le djiahdisme par idéalisme. Il y a aussi en France une jeunesse populaire nombreuse à voter pour Marine Le Pen. Est-elle moins bouillonnante que l'autre ? N'a-t-elle pas aussi des aspirations ? Vous n'aurez pas les mêmes accents pour la comprendre et justifier ses actions.

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  5. Allegra,

    "votre adhésion à l'idée que la révolution islamiste est la solution légitime aux besoins de cette "jeunesse bouillonnante" et votre empathie à l'égard de cette même jeunesse qui n'aurait pas d'autre alternative que de se lancer dans le djiahdisme par idéalisme."

    "votre adhésion" - "solution légitime" - "pas d'autre alternative que se lancer dans le djiahdisme par idéalisme" : Je m'inscris totalement en faux contre une telle interprétation simpliste de mes propos et qui ne relève que du pur procès d'intention, comme le reste de votre intervention d'ailleurs.

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