mardi 19 janvier 2016

Que survive la sociologie !



Un essai bienvenu
À l’heure de l’anti-intellectualisme ambiant !

Pour la sociologie
Et pour en finir avec une prétendue
culture de l’excuse




Il est signé Bernard Lahire et publié aux excellentes éditions de La découverte.
Un bouquin qui tombe à point nommé, après la dernière déclaration d’Emmanuel Valls qui prétend que tenter de comprendre (le djihadisme), c’est déjà (l’) excuser !

Il y a une novlangue de droite, elle est même plutôt la plus partagée au niveau de la doxa ambiante. Ainsi, parmi d’autres simplifications anti-intellectuelles, on surnomme n’importe quel citoyen qui défend les droits de tous hommes, et des plus différents en particulier, de droit-de-l’hommiste ; et altermondialisme y est carrément devenu synonyme du pire de l’extrême-gauche.

Dans cette novlangue, on ne nomme plus la discipline universitaire sociologie par son nom. Non, il suffit seulement désormais de l’ismer ! Bref, dans cette novlangue, on l’appelle désormais sociologisme. Pour ne surtout pas s’interroger là où on ne le veut surtout  pas…

Que l’homme soit un animal social, qu’il puisse être en grande partie déterminé par sa culture, sa classe sociale, son clan, sa bande, par des phénomènes médiatiques, voilà donc ce qui ne pourrait plus se dire. Et aux oubliettes ou à la géhenne, les études d’un Pierre Bourdieu sur la violence symbolique.

Ce qui me semble extrêmement alarmant, en France tout particulièrement, c’est comment depuis la Présidence de Sarkozy en particulier, le discours dominant affiche de plus en plus clairement sa haine de la pensée. Quand j’écris pensée, je veux évidemment dire pensée complexe qui tente de tenir compte au mieux d’un réel compliqué. Et que l’on ne s’étonne donc pas trop demain, si l’extrême-droite l’emporte encore un peu plus ; le modèle valant toujours mieux que ses pâles copies.

Car en effet, tenter de penser est fatiguant, usant même. C’est tellement plus simple de succomber à quelques prêt-à-penser ! Les dictateurs en herbe savent ça d’instinct. Et la Marine a dû téter ça dès le berceau.

Bref, tellement bienvenu l’essai de Bernard Lahire !

Voici des extraits de sa recension signée Gaël Brustier.


« Les différents pouvoirs politiques, soucieux d’apparaître comme pleinement maîtres de la société, accusent fréquemment les sciences sociales de trouver des «excuses» aux délinquants ou criminels. Accusation récurrente et désormais classique. Il y a en effet une forme de constante dans cette dénonciation par les responsables politiques, qu’ils agissent ici en France ou bien aux Etats-Unis, où la croyance en l’absolu de la responsabilité individuelle ne saurait tolérer l’idée centrale des sciences sociales selon laquelle l’individu n’est pas isolé et ne constitue pas, au milieu du monde, «un petit centre autonome».
D’aucuns objectent à la méthode sociologique une vérité liée à l’idéologie, mais omettent de penser celle-ci comme une représentation du monde trouvant des moyens de diffusion et de développement différents selon les terrains. Selon les accusateurs des «sciences sociales», chaque terroriste aurait fait des choix qui lui sont propres et rien d’autre que ces choix ne saurait expliquer son cheminement. Ils laissent en suspens de nombreuses questions, pourtant fort utiles pour la lutte contre le terrorisme. Pourquoi ces terroristes font-ils ces choix? A quel moment? A quelles conditions? Quelle différence y-a-t-il entre le djihadiste qui vit au Nord-Mali et celui qui vit à Drancy? N’est-il pas important de saisir les différences et de les objectiver? Cette connaissance utile en soi (c’est le propre de la science) ne serait-elle pas de surcroît utile, sur un autre plan, pour juger ces actes?
Lorsque Norbert Elias s’intéressa, dans ses Studien über die Deutschen, à la montée du nazisme, aux conditions propres de son émergence et de son essor, à la rupture qu’il marqua dans le «processus de civilisation», il suscita des controverses (avec Zygmunt Bauman notamment) mais il ne vint à personne l’idée d’accuser Elias de trouver des «excuses sociologiques» aux nazis… Or, nous vivons une période de contestation au fond de l’utilité des sciences sociales…
La compréhension d’un fait social n’est pas l’excuse d’un délit ou d’un crime. Comprendre un crime, rappelle Bernard Lahire, n’est pas «l’excuser» mais en saisir les dynamiques liées au «contexte», aux «causes», aux «conditions de possibilités». Le scientifique n’étant pas un moraliste, cette recherche des faits sociaux n’implique pas de position normative. Il cherche à comprendre comment les choix individuels sont faits dans un univers de«contraintes multiples», dans des «contextes sociaux» différents.
La «culture de l’excuse» ressemble en cela à la «théorie du genre»: elle n’existe pas, sauf dans la tête de ses détracteurs, au discours desquels elle contribue à donner cohérence. Dans les deux cas, la confusion entre le domaine de la connaissance scientifique et le domaine normatif est totale. A chaque fois, cette dénonciation s’accompagne d’une absence de prise de distance par rapport au monde des émotions (Bernard Lahire invoque Norbert Elias, lequel mettait l’accent sur la nécessité de la prise de distance par rapport aux phénomènes sociaux et de «sortir du rapport émotionnel à la vérité»). Cette dénonciation de la «culture de l’excuse» a aussi une conséquence directe : la négation des rapports de domination. Lorsque cette vision du monde mettant l’accent sur les choix individuels se déploie, elle porte logiquement à la légitimation des vainqueurs de toutes sortes.
Ce plaidoyer pour les sciences sociales, dont Bernard Lahire considère qu’elles devraient être enseignées dès le plus jeune âge, revêt une importance majeure. Elles contribueraient à arracher le débat public à l’empire de l’émotion, à prolonger la construction du débat public et d’une citoyenneté éclairée par la raison. » (C’est moi qui souligne.)




18 commentaires:

  1. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour penser que la sortie de Valls est absurde. D'autant plus absurde que lui-même avait eu recours à une sociologie de comptoir pour expliquer les événements de janvier avec sa théorie de l'apartheid. C'est le Valls de 2016 qui condamne donc celui de 2015.

    Sinon, d'un point de vue théorique, à quelques nuances près, le texte que vous présentez m'apparait juste. La réserve que j'ai c'est sur cette vision du monde articulée sur uniquement des rapports de domination. Quand j'étudiais la socio en fac, c'était une rengaine habituelle bien davantage d'ailleurs de la part des étudiants que des professeurs dont un certain nombre se démarquaient de cela, ou du moins de l'unicité de cette vision. On peut aussi s’interroger sur le caractère scientifique de la sociologie. Pour ma part j'ai de forts doutes. Cela dit la rigueur dans l'analyse peut exister et faire d'une sociologie bien faite une discipline à vocation scientifique. Et là je me référerai aux fondateurs de la discipline en tant que discipline à part entière, à des gens comme Durkheim et Weber dont certaines analyses nous éclairent encore aujourd'hui.

    Reste cependant qu'il y a eu et qu'il y a des dérives, la sociologie devenant une arme de combat idéologique et politique aux mains de certains et, ce faisant, devenant un outil pour changer le monde davantage que pour l'expliquer.
    Je suis par exemple très réservé sur les conséquences de l’œuvre de Bourdieu dont on peut constater la caractère militant de la dernière partie de son œuvre (en gros à partir de "la misère du monde"). Bourdieu c'est quand même cet homme d'extraction très modeste et qui doit tout à l'école et qui fait cette analyse de la reproduction des inégalités par l'école, sans doute pertinente à bien des égards, mais dont les travaux et la traduction concrète permet une mutation de l'école accroissant encore davantage le phénomène inégalitaire qu'il constate. Il suffit d'observer et c'est aussi de la sociologie, l'évolution du nombre d'enfants d'ouvriers et d'employés au niveau des études supérieures et notamment dans les grandes écoles. C'est une catastrophe.
    Je sais ce que je dois à une école exigeante, sélective. Et j'imagine que j'aurais bien du mal à refaire un même parcours aujourd'hui.

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  2. Lu avec intérêt... Salut à vous deux

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    1. Nolats dit chez moi;

      Une remarque: je n'ai pas trouvé l'option "Anonyme" dans le menu déroulant "Répondre en tant que" du blogspot de Plumeplume, aussi n'ai-je pas pu poster de commentaire, n'ayant pas de compte parmi les options proposées (ni l'intention d'en ouvrir)

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    2. Sk et Nolats,

      Voilà, j'ai trouvé, je crois la solution.

      Autre chose : SK, je ne vois pas comment faire pour afficher, comme chez vous, la liste des intervenants dans la colonne de droite. Pouvez-vous m'aider ?

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    3. Merci d'avoir relayé et pris en compte ma remarque :-)
      Nolats

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  3. Bonjour Vlad,

    Chouette ! Vous êtes mon premier commentateur et nous sommes d'accord sur plusieurs points !

    Je vous réponds plus longuement tout de suite.

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    1. Vlad (1),

      Il y a plusieurs points de votre réponse avec lesquels je suis d'accord.
      Il faut en effet que la sociologie soit la plus rigoureuse possible. Moi aussi, j'admire les fondateurs de cette discipline, Durkheim et Weber. Il va de soi qu'en matière humaine, la scientificité des recherches ne pourra jamais atteindre celles de sciences dites exactes à moins que la sociologie soit dirigée par des extra-terrestres ou un dieu !
      Il me semble toutefois que la science, dans de très nombreux domaines, participe du et au mieux vivre ; il n'y a donc pas étanchéité entre discipline académique et praxis. Vous dites vous-même que les études des fondateurs de la sociologie "nous éclairent encore aujourd'hui".
      Ce qui est indispensable, c'est que la recherche de niveau universitaire puisse être menée sans pression, ni du politique ni de la finance.

      Je ne suis pas tout à fait d'accord quand vous opposez trop fermement (et isoler en conséquence d'après moi) explication et transformation du monde (allusion à Karl Marx, je suppose). Pensez à ce qui se mène comme recherches par exemple en médecine ou en économie, et vous serez, je suis sûre, d'accord que celles-ci ne visent pas exclusivement la compréhension mais participent de l'amélioration transformatrice de la réalité étudiée.

      Il me paraît donc logique et nécessaire que les études en sociologie, particulièrement quand elles touchent aux inégalités sociales, aient en vue leur possible amélioration ou élucidation. Certes, Pierre Bourdieu fut un chercheur militant célèbre, influent, mais toute la sociologie sociale ne s'est pas limitée à lui, il n'a pas imposé un diktat sur la discipline, ce me semble.

      J'en viens à votre réflexion qui glisse logiquement de Bourdieu, et de son étude sur la reproduction des inégalités, à l'école.
      Il y aurait tant à dire...
      Tout n'est pas catastrophique comme vous le dites, dans la mesure où l'on prend en compte la période d'après-guerre (1945) à nos jours. Il y a des progrès du côté de la formation des filles, il y a tout de même progrès démocratique (fussent-ils encore trop faibles) dans l'accès du bac.
      Ne pas perdre de vue tout de même que les changements en matière sociale prennent beaucoup de temps, et sont donc à estimer sur plusieurs générations.

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    2. Vlad (2),

      Perso, dans ma carrière de prof, dans une institution scolaire de type général (pas technique ni professionnel) qui accueille grosso modo des enfants de classe moyenne ordinaire et du monde ouvrier, au début de ma carrière, je n'avais qu'exceptionnellement au cycle supérieur des élèves issus du monde ouvrier ou de l'immigration ; en fin de carrière, ils constituaient presque 10 %. Pas encore au niveau des meilleurs résultats certes, mais du moins, ce 10 % là sortait du secondaire avec certification.

      Ne pas perdre de vue qu'avec la fréquentation de l'école jusqu'à 17-18 ans de tous les enfants, les statistiques n'en trouvent nécessairement modifiées à la baisse.

      Mais ça ne signifie pas à mes yeux qu'automatiquement l'enseignement est meilleur qu'hier et avant-hier. Je suis bien placée pour le dire. Je me suis opposée à toutes sortes de réformes en matière pédagogique ; les unes plus nulles que les autres, selon moi.
      J'ai même fait de la résistance ! Mes élèves ont toujours dû avoir un vrai cahier, je leur ai appris à prendre note au vol, mais en leur donnant des tas d'outils pour y arriver.

      Et là, nous serons sans doute d'accord. Sauf que moi, à votre différence, je n'aurais pas associé automatiquement les termes "exigeant" et "sélectif" ! Mais toutefois, je pense un peu comme vous que nombre de réformes en matière d'enseignement n'ont strictement pas amélioré la situation.
      Ainsi, encore jeune prof, je me suis trouvée plus d'une fois en accord avec de vieux collègues.

      L'essentiel à mes yeux, en matière d'enseignement, n'est pas d'abord dans de la technique pédagogique mais dans l'art d'enseigner. Et cela suppose indispensablement le talent de leadership, et surtout l'amour (au sens de l'agapè grec) de tous les jeunes qui vous sont confiés. C'est vraiment extraordinaire de constater comment si vous êtes à la fois passionné et bienveillant, vous aimantez les jeunes vers le meilleur que vous leur proposez.

      Ainsi, Latifa Ibn Ziaten, la mère du soldat français de confession musulmane qui a été tué par Mohamed Merah, consacre désormais sa vie à la rencontre de jeunes dans les écoles difficiles, et elle est une armée pacifique (et de déradicalisation islamiste) à elle toute seule ! Je l'ai écouté à plusieurs reprises, elle est habitée par cet amour-là, l'agapè, cette bienveillance inconditionnelle.

      Mais pour que les enseignants redeviennent des maîtres, il faut aussi d’urgence que toute la société revalorise ce beau, ce magnifique boulot. Et ce n’est pas du tout le cas.

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    3. @Plumeplume,

      je crois qu'il n'y a pas d'opposition fondamentale entre nous sur la sociologie et l'école.

      Sur la sociologie, et je reprends ce qu'a dit Nolats en dessous, la "scientificité" de la démarche sociologique, la seule qui vaille, est parfois détournée à des fins idéologiques. il cite Todd, mais il n'est pas le seul. De fait l'enjeu est important car un vrai travail de sociologie est parfois dénigré car il n'exprime pas les conclusions que certains auraient voulu trouver. Je pense aux travaux de Hugues Lagrange dont le cœur penche pourtant à gauche et qui dans ses travaux sur la délinquance en zones dites sensibles entre délinquance et origine ethno-culturelle. On en a pas mal parlé à l'époque parce que cela a heurté pas mal de consciences. pourtant c'est le fruit d'un travail rigoureux et en aucun cas idéologique.
      Sinon je veux bien croire qu'expliquer le monde c'est déjà le changer. Mais je pense que c' est une erreur et même une faite pour le sociologue de faire une étude pour changer le monde.

      S'agissant de l'école l'emploi le terme de sélection mais dans mon esprit celui-ci est indissociable d'orientation, tout en veillant à laisser des passerelles. De toute façon la sélection se fera et plus c'est tard plus il est difficile de repartir sur autre chose correspondant à ses aptitudes et ses gouts.

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  4. erratum : "Je l'ai écoutée à plusieurs reprises (...)"

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  5. Bonjour Plumeplume, voici donc ton nouveau blog sur cette plateforme, sans les aléas d'un contrôle préalable arbitraire. Merci d'avoir activé l'option "anonyme" dans le menu déroulant des types d'intervenants, cela évite d'avoir à créer tel ou tel compte.

    Concernant le sujet de l'article, il me semble qu'il faut distinguer la sociologie en tant que science, et l'usage "idéologique" qui en est fait. Ainsi on se souvient des thèses controversables d'Emmanuel Todd concernant les participants aux manifestations de Janvier 2015.
    On ne peut contester qu'il existe un courant de pensée [i]multiculturaliste[/i] (il faut bien employer un terme) qui utilise des considérations sociologiques pour *charger* la société de la responsabilités prépondérantes de la délinquance et du terrorisme, constituant des circonstances atténuantes pour ceux qui commettent ces actes. Parfois "expliquer" des actes comme conséquences de situations peut sermbler les "excuser" (le reproche m'est parfois adressé).
    Ceci étant, il me parait incontestable que l'environnement social et ethno-culturel peut constituer un terrain plus ou moins favorable à tel type de radicalisation (un peu comme en épidémiologie).

    A propos du "discours dominant", c'est comme le terme "bien pernsant", chaque courant désigne ainsi le courant opposé. Le courant prépondérant dans le monde politico-médiatique n'est pas forcément celui de l'opinion publique, on avait vu la coupure lors du referendum de 2005. Disons que les blogs reflètent plutôt l'état de l'opinion, et le glissement à droite (je schématise) y est significatif.

    Enfin, mais c'est une incise dans l'article, concernant la "théorie du genre", même si le terme est impropre il y a bel et bien un courant de pensée qui considère que les caractéristiques attribuées aux filles et aux garçons sont majoritairement des stéréotypes, et qu'il faut déprogrammer ces stéréotypes (campagne ABC de la parité) -des débats en classes enfantines ne peuvent évidemment qu'être "dirigés"-. Comme souvent, un principe louable peut conduire, par zèle, à une mise en oeuvre excessive, qui suscite un rejet en contre-réaction (on l'a vu aussi avec le rapport sur la refondation de l'intégration, dont les outrances ont conduit à un rejet global).

    Nolats

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Merci Nolats de t'être déplacé ( !) jusqu'ici.
      On use et on abuse du terme "idéologie", on se le simplifie surtout depuis la soi-disant "mort des idéologies". Certes, il s'agissait alors d'idéologies fortes, globalisantes ou totalitaires (le communisme, le fascisme, le nazisme) qui ne sont plus représentables comme telles, mais, en tant qu'idéologie forte totalitaire, il y a aujourd'hui l'islamisme fondamentaliste et politique en pleine expansion. Il y a aussi, - mais qui ose encore en parler ! -, l'idéologie capitaliste.
      Cela ne signifie pas qu'en dehors de ces systèmes idéologiques-là très clairement identifiables, tout homme, savant, politique ou quidam, serait capable d'échapper à de "l'idéologique". Je ne vais pas trop développer mais tu devines (ça supposerait un long développement de type épistémologique phénoménologique) ; disons seulement que le "réel" en soi ou à l'état brut, s'il existe, ne nous est pas accessible et que nous ne pouvons que nous en faire des représentations (réalité ou réalités au pluriel - c'est plus correct) en fonction de positionnements ou points de vue. Mais, assez proche de Merleau-Ponty sur ce plan, (qui tente une sortie de l'enfermement intellectualiste idéaliste), tous les points de vue ne se valent pas de la même manière. Le dernier essai de Todd, écrit vite et dans une sorte de fébrilité selon son propre aveu, est un point de vue à "spectre étroit" si je peux ainsi dire. Contestable en effet, quoique même en science selon Popper, n'est valable que la théorie qui peut être "falsifiable".

      Bref, on n'a souvent encore rien dit quand on affirme que tel ou tel discours est "idéologique" (au sens négatif et péjoratif toujours). Et, pour rire, on pourrait répliquer que le point de vue selon lequel tel ou tel discours est idéologique est lui-même un point de vue idéologique.

      J'aurais surtout voulu parlé de l'homme engagé, mais je dois partir.

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    3. Ajout important :

      Ayant seulement en vue hier (et que peu de temps pour rédiger un début de commentaire adressé à Nolats et à tout qui veut) une petite réflexion sur la représentation naïve de l’idéologie (au sens négatif et péjoratif) et auxquels les uns succomberaient et les autres pas, je n’ai pas assez insisté sur le fait que c’est l’opinion que je critiquais de la sorte (et nous y sommes tous dans l’écriture blogueuse).
      Il ne peut être question de généraliser ce petit propos tel quel à toute démarche rigoureuse, qu’elle soit d’exigence scientifique ou aussi par exemple judiciaire. Pourquoi j’insiste ? Parce que lorsque l’on met en avant une inéluctable subjectivité dans l’ordre de la connaissance (même la plus exigeante) ou quand j’écris que nous n’avons du réel que des représentations (réalités), on pourrait tomber dans le subjectivisme et le relativisme, en se méprenant sur cette subjectivité-là (Kant l’appelait « transcendantale » (nécessaire et universelle)), et en la confondant avec la subjectivité de l’opinion (relative et particulière).
      Même si aucun savoir n’est neutre, on ne peut abandonner le langage ni surtout la recherche des « faits » (Jacques Bouveresse écrit presque constamment « faits factuels ») et de la « vérité » (vérité scientifique, historique, judicaire).
      Voilà. Cet ajout était important, du moins pour moi.

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    4. Oups ! Lire plus haut : "J'aurais surtout voulu parler de l'homme engagé, mais je dois partir."

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  6. Bonjour Plumeplume. Lorsque j'ai employé l'expression "usage idéologique" de la sociologie, j'entendais la récupération de la sociologie en support à une doctrine, un courant de pensée, une orientation politique. J'utilise ces termes dans leur sens courant.
    L'idée force est que ceux qui dénigrent la sociologie se trompent de cible, et visent son instrumentalisation. Comme si on reprochait aux mathématiques le trucage des statistiques du chômage.

    Ceci étant, nous sommes d'accord que l'"idéologie" n'est effectivement pas l’apanage du seul camp adverse; en matière de Sciences Humaines la quasi totalité des analyses se place dans le cadre d'un "système de pensée" plus ou moins structuré et pas toujours conscient, toutefois il y a une gradation du taux d'imprégnation idéologique (cela déborde du reste des sciences humaines, l'exemple d'école étant Lyssenko en biologie)

    Nolats

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  7. Je viens de finir le livre de Bernard Lahire « Pour la sociologie – et pour en finir avec une prétendue culture de l'excuse ».

    Aussi j'ai relu le texte ci-dessus et les commentaires qui suivent.

    « Je ne suis pas tout à fait d'accord quand vous opposez trop fermement (et isoler en conséquence d'après moi) explication et transformation du monde (allusion à Karl Marx, je suppose) » (Plume)

    Extrait :

    « Emile Durkheim, qui défendait la recherche désintéressée de savoir « pour lui-même », n'en déclarait pas moins par ailleurs, dans l'introduction de "La division du travail social" (1895), que « la sociologie ne vaut pas une heure de peine si elle ne devait avoir qu'un intérêt spéculatif ». Et il précisait dans ses "Leçons de sociologie" : « un peuple est d'autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l'esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques. Il l'est d'autant moins que l'inconscience, les habitudes inavouées, les sentiments obscurs, les préjugés en un mot soustraits à l'examen, y sont au contraire prépondérants. » Pour Durkheim, les sciences sociales devaient participer pleinement à ce travail de délibération, de réflexion et à cet esprit critique ». (Bernard Lahire p. 120)

    De fait, « les sciences du monde social sont assez logiquement mal aimées des régimes conservateurs et éradiquées par les régimes dictatoriaux ». (B. Lahire p. 127)

    On peut dès lors se demander avec l'auteur pourquoi elles ne sont pas mieux défendues et promues par les responsables politiques des pays démocratiques (Lahire préconise même son enseignement de façon adaptée dès l'école primaire)

    Un livre très instructif.

    Son supplément, dédié à la critique du livre de Philippe Val « Malaise dans l'inculture », est assez drôle. Il met surtout en évidence les contradictions de l'auteur.

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